Entretien avec Dora Bakoyannis par Isabelle Lasserre, chef adjointe du service Étranger du Figaro et Jean Catsiapis, Maître de conférences à l'Université Paris-X, spécialiste de la Grèce et de Chypre
Isabelle Lasserre et Jean Catsiapis - Vous êtes, selon les sondages, la personnalité la plus populaire de Grèce. L'organisation City Mayors vous a même décerné, en 2005, le titre de « World Mayor » pour le travail remarquable que vous avez accompli à la mairie d'Athènes (1). Comment expliquez-vous cet engouement ?
Dora Bakoyannis - Les Grecs en ont assez des hommes et des femmes politiques qui ne parlent que la langue de bois. Ils récusent le « politiquement correct ». Moi, je parle comme je pense. Et cela plaît aux gens.
I. L. et J. C. - Vous avez dû quitter la Grèce avec vos parents au moment de l'arrivée des colonels (2). Dans quelle mesure cet exil forcé vous a-t-il influencée ?
D. B. - L'exil est une expérience très douloureuse pour une enfant de quatorze ans qui ne sait pas si elle est partie pour un an ou pour toujours. Mais, rétrospectivement, ce séjour en France m'a aussi donné le sens de l'Europe. Élève dans une école allemande à Paris, dans un milieu très international, j'étais aux premières loges pour assister à l'émergence de l'idée européenne.
I. L. et J. C. - Quelles sont les valeurs que votre père vous a transmises ?
D. B. - Mon père a été deux fois condamné à mort par les Allemands. Il a été emprisonné sous la dictature des colonels. Il s'est toujours battu pour ses convictions. Il m'a appris deux choses : la première, c'est qu'il n'y a qu'une force en politique, le peuple. La seconde, c'est la différence entre un politicien et un leader. Le politicien se préoccupe uniquement du lendemain. Le leader, lui, s'efforce de voir plus loin ; il doit se comporter de manière responsable vis-à-vis du peuple, oser lui dire les choses, même quand elles sont désagréables. Répondre aux inquiétudes et aux espoirs de mon pays, quelles que soient les résistances, ne pas céder à la facilité : c'est ma manière d'aimer la Grèce et d'essayer de rendre aux Grecs ce qu'ils m'ont donné. C'est ce que je fais, par exemple, en plaidant pour l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.
I. L. et J. C. - Serez-vous la première femme à accéder au poste de premier ministre en Grèce ?
D. B. - Dans mon pays, la question est encore largement taboue mais, en définitive, je ne pense pas que les électeurs nous jugent en tant qu'homme ou en tant que femme. Ils se déterminent en fonction des compétences. Le jour du vote, les candidats, comme les anges, n'ont pas de sexe...
I. L. et J. C. - Le mont Athos qui, sur le plan juridique, dépend de votre ministère, est interdit aux femmes. Comment faites-vous pour vous assurer que les lois de la République grecque y sont respectées ?
D. B. - Que voulez-vous que je fasse ? J'y envoie un homme (3) ! Lorsque j'avais vingt ans, je ne supportais pas cette ségrégation. Mais un professeur m'a persuadée que certaines choses devaient rester comme elles sont. Finalement, j'ai du respect pour cette tradition. Bien que je ne puisse pas visiter le mont Athos moi-même, je reçois souvent des représentants de la communauté monastique pour discuter en prenant une tasse de café. Ils savent apprécier la compagnie des femmes...
I. L. et J. C. - Le dernier attentat commis en Grèce le 12 janvier dernier, revendiqué par Lutte révolutionnaire (4), a rappelé que le pays n'avait pas éradiqué le terrorisme...
D. B. - En Grèce, le terrorisme prend deux formes. Une forme interne, d'abord, dont mon mari fut la victime (5). Nous avons mis longtemps à nous débarrasser de ce terrorisme d'extrême gauche ; c'est maintenant chose faite : ses principaux leaders sont en prison (6). Nous avons pu ainsi organiser les Jeux Olympiques de l'été 2004 dans la sérénité. Et, pourtant, personne à l'époque ne pensait que ce serait possible. Il reste bien des petits groupes anarchistes qui se manifestent de temps à autre, mais ils sont isolés et marginalisés. Et puis, il y a le terrorisme international. Celui-là, il faut le combattre tous ensemble.
I. L. et J. C. - Pourquoi, selon vous, Paris a-t-il perdu les Jeux Olympiques de 2012 ?
D. B. - Paris avait un très bon dossier. Mais la décision, au final, s'est faite sur des bases politiques. Les questions de sécurité ont joué un rôle déterminant car, à l'époque, le Comité olympique redoutait une attaque terroriste. D'ailleurs, si l'attentat dans le métro de Londres (7) avait eu lieu trois jours plus tôt, Paris aurait sans doute gagné. Si cela peut vous consoler, Athènes l'a emporté de très peu et cette victoire lui a coûté cher... Rien que les mesures de sécurité ont représenté une dépense de 1,2 milliard de dollars. Ce fut un fardeau très lourd pour un petit pays comme le nôtre. Mais nous, les Grecs, nous travaillons un peu comme on danse le sirtaki : on commence lentement et, quand la pression augmente, on accélère...
I. L. et J. C. - Avez-vous des idées pour relancer l'Europe ?
D. B. - L'Europe sera au coeur de tous les agendas politiques en 2007. Je représente un pays qui a ratifié la Constitution. Un pays qui croit en l'Europe. Et je suis convaincue que l'Europe ne peut pas se permettre d'attendre ceux qui ne veulent pas avancer.
Pour les vieux pays membres, l'Europe est perçue comme un fait accompli. Or rien n'est jamais définitif. L'UE doit continuer à être considérée comme un chantier. Sinon, ses acquis seront mis en danger. Pour éviter les échecs des référendums, il aurait fallu respecter davantage les gens et leur parler de politique. Le drame de l'Europe, c'est qu'on n'y parle plus politique. Il n'y a plus de place que pour le jargon technocratique. Même moi, j'ai parfois besoin de traduction... Vous connaissez la boutade de Kissinger qui demandait un jour à qui il devait téléphoner « pour parler à l'Europe » ? Eh bien, je voudrais qu'il sache à qui …
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