Entretien avec Nicolas Sarkozy, Ancien Président de la République Française (2007 à 2012) par la Rédaction de Politique Internationale
À l'aube d'un nouveau mandat présidentiel, notre Rédaction a estimé utile de nourrir le débat sur la politique extérieure française en interrogeant les principaux experts et les principales personnalités politiques de notre pays. Voici, pour inaugurer cette série, les réflexions de Nicolas Sarkozy.Politique Internationale - Pensez-vous, monsieur Sarkozy, que notre politique étrangère appelle de nets infléchissements ?
Nicolas Sarkozy - Il me semble que, jusqu'à présent, nous ne nous sommes pas suffisamment posé une question essentielle : quelle doit être la « colonne vertébrale » de notre politique extérieure ? Non pas qu'il soit souhaitable de faire table rase : à bien des égards, le bilan de Jacques Chirac a été exemplaire. Mais l'évolution du monde nous contraint à préparer certains changements. Bref, je crois le temps venu de doter la diplomatie française d'une « doctrine ». La doctrine ne doit pas empêcher le pragmatisme dans la conduite des affaires. Une doctrine, c'est une vision claire du monde, des objectifs de long terme et des intérêts que nous défendons. C'est un ensemble de valeurs qui guident notre action. C'est ce qui donne, dans la durée, un sens et une cohérence. C'est la condition de notre indépendance.
P. I. - Par quoi commencer ?
N. S. - Par l'Europe, naturellement. L'urgence est de débloquer le fonctionnement des institutions.
P. I. - L'Allemagne a fait de la relance de l'Europe la priorité de sa présidence, qui s'achèvera le 30 juin prochain. On sait que vous êtes en faveur d'un « traité simplifié » qui ne porterait que sur les réformes institutionnelles. N'est-ce pas faire peu de cas de l'opinion des dix-huit pays qui, eux, ont ratifié le texte rejeté en mai 2005 par les Français ?
N. S. - Ce n'est pas ce que j'ai dit, et c'est encore moins ce que je pense. Je me suis battu pendant des mois, tout au long de la campagne référendaire, en faveur du oui. Sur ce point, je n'ai pas changé : je suis pour un traité ambitieux ; mais, pour cela, il faut du temps. Or du temps, nous n'en avons pas. L'urgence, c'est de permettre à l'Europe de fonctionner efficacement à vingt-sept. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé que nous adoptions un « traité simplifié » dont l'objectif serait justement de remédier à l'urgence institutionnelle. Ce traité simplifié, j'en ai parlé pour la première fois il y a plus d'un an, à Berlin, puis à nouveau en septembre dernier à Bruxelles. Aujourd'hui, je constate que l'idée a fait beaucoup de chemin parmi nos partenaires.
P. I. - Il n'empêche qu'un certain nombre d'États européens, notamment l'Espagne et l'Allemagne, estiment que les réformes constitutionnelles ne sauraient constituer à elles seules la substance du traité. Écartant l'idée d'un « accord minimal », ils plaident, au contraire, pour une « proposition audacieuse »...
N. S. - Je ne vous apprendrai rien en vous disant que le traité constitutionnel ne peut entrer en vigueur que s'il est ratifié par tous les États membres. Nous savons maintenant que tel ne sera pas le cas. Il est évidemment impossible de faire voter les Français et les Néerlandais une deuxième fois sur un texte identique. Et, en tout état de cause, nous savons que, parmi les États qui ne se sont pas encore prononcés, plusieurs n'ont aucune intention de le ratifier. La France, pour ce qui la concerne, doit à ses partenaires la clarté. Qu'on ne compte pas sur moi pour expliquer aux Français qu'ils ont mal compris la question qui leur était posée.
P. I. - Est-ce à dire que nous devons nous contenter du traité de Nice, dont vous-même avez souligné les insuffisances ?
N. S. - Certainement pas. Tout le monde est d'accord pour dire que les institutions héritées du traité de Nice ne permettent pas à l'Europe de fonctionner correctement à vingt-sept. De là l'idée d'un « traité simplifié » centré sur les questions institutionnelles. Le projet de traité constitutionnel contenait un certain nombre de mesures dont tout le monde, y compris dans le camp du « non », a reconnu qu'elles permettraient à l'Union de fonctionner plus efficacement. Le « traité simplifié » reprendrait ces mesures qui ont fait consensus.
À plus long terme, je suis bien conscient que la nécessité de doter l'Union d'un texte de référence demeure. Ce texte - appelons-le « constitution » ou « traité fondamental », peu importe - devra aller au-delà des dispositions techniques contenues dans les traités actuels et sceller la dimension fondamentalement politique de la construction européenne. L'élaboration de ce traité fondamental doit se faire de la manière la plus démocratique possible, en associant autant que faire se peut les citoyens européens et leurs représentants. On pourrait, par exemple, imaginer une grande Convention, dont les membres seraient désignés après un vrai débat démocratique, notamment devant les Parlements nationaux.
P. I. - Quel devrait être, selon vous, le contenu de ce « traité simplifié » ?
N. S. - Le traité simplifié devrait reprendre un certain nombre de dispositions essentielles :
- l'extension de la majorité qualifiée et de la codécision, en particulier en matière judiciaire et pénale ;
- la règle de la double majorité ;
- le partage du pouvoir législatif entre le Parlement et le Conseil ainsi que l'élection du président de la Commission par le Parlement ;
- le respect du principe de subsidiarité. Nous devons veiller à cette règle simple : l'Union n'a vocation à agir que lorsque son action est plus efficace, plus appropriée, que celle des États membres. Le respect de la subsidiarité, c'est l'Europe là où il le faut, autant qu'il le faut mais pas plus qu'il ne faut. Pour cela, le renforcement du rôle des Parlements nationaux grâce à la procédure dite de l'« alerte précoce » (1) doit figurer dans le « traité simplifié » ;
- la mise en place d'une présidence stable du Conseil européen. Aujourd'hui, cette question ne semble plus faire débat. Tout le monde reconnaît qu'une telle présidence favoriserait des actions de …
Ce site est en accès libre. Pour lire la suite, il vous suffit de vous inscrire.
Celui-ci sera votre espace privilégié où vous pourrez consulter à tout moment :