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LES METAMORPHOSES DU MODELE SUEDOIS

Entretien avec Fredrik Reinfeldt par Antoine Jacob, journaliste indépendant couvrant les pays nordiques et baltes. Auteur, entre autres publications, de : Les Pays baltes, Lignes de repères, 2009 ; Histoire du prix Nobel, François Bourin Éditeur, 2012.

n° 115 - Printemps 2007

Antoine Jacob - Décennie après décennie, le « modèle » social suédois continue à être dépeint comme un système perfectionné, équilibré et facilement adaptable, où un État-providence généreux et une économie compétitive se côtoient dans une relative harmonie. Des délégations étrangères, françaises en particulier, viennent régulièrement observer cet ensemble pour en comprendre les mécanismes et, si possible, s'en inspirer. Comment définiriez-vous ce modèle et qu'est-ce qui, selon vous, en fait la force ?

Fredrik Reinfeldt - Pour moi, ce modèle n'est pas spécifiquement suédois ; il serait plutôt nordique. On peut d'ailleurs se demander jusqu'à quel point il s'agit vraiment d'un « modèle » car, par définition, le modèle est imposé d'en haut. Les gens doivent s'adapter à ce qu'on leur propose. Or cette vision ne correspond pas à ma conception de la politique. Je pense que les choix des individus doivent infléchir les décisions politiques. Cela dit, il est vrai que les pays d'Europe du Nord présentent des traits communs.
D'abord, un marché du travail qui s'appuie sur les partenaires sociaux. Ce sont les employeurs et les représentants du personnel qui fixent, ensemble, le montant des salaires et des cotisations (chômage, maladie). En Suède ce système est lié à la structure du tissu industriel, dominé par les grandes entreprises. Certains regrettent, en particulier dans les partis de centre droit, que cette coopération entre grandes entreprises et pouvoirs publics se fasse au détriment des petites entreprises. C'est l'un des points que mon gouvernement veut corriger.
Ensuite, ce « modèle » a donné aux femmes la possibilité de travailler presque autant que les hommes. C'est un élément décisif, qui distingue nettement les pays scandinaves du reste de l'Europe. Conséquence de ce fort taux d'activité : on ne peut pas attendre des femmes qu'elles supportent, seules, le travail domestique et l'éducation des enfants. Il faut les y aider et revoir la traditionnelle répartition des tâches entre hommes et femmes.

A. J. - L'égalité des sexes est-elle vraiment aussi ancrée dans les mentalités qu'on le prétend ?

F. R. - Les Suédoises vous le diraient : il reste beaucoup à faire. Nombreuses sont celles qui continuent de devoir effectuer une double journée : au travail et, le soir, à la maison. Mais la Suède a mis en place une politique de prise en charge des enfants qui aide grandement les femmes à réussir leur vie professionnelle et à conquérir leur indépendance. Celles qui sont confrontées à des difficultés dans leur couple ont la possibilité de s'en aller et de se prendre en main, sans dépendre financièrement d'un homme. Mais il y a parfois loin de la théorie à la pratique. Car celles qui sont amenées à prendre ce genre de décisions sont aussi celles qui sont atteintes par une sorte de nouvelle pauvreté. Elles ont du mal à s'en sortir sur le plan matériel et elles continuent à s'occuper davantage des enfants que les hommes. C'est pourquoi nous insistons sur la nécessité de permettre au plus grand nombre possible de femmes d'accéder au monde du travail. C'est la clé de leur émancipation.
Autre caractéristique du « modèle » : la Suède a une tradition de prélèvements fiscaux élevés et son secteur public est très développé. Mais, là aussi, le système est imparfait : la qualité des services laisse à désirer et les possibilités de choix laissées au consommateur dans ce domaine sont trop réduites. Notre gouvernement cherche à y remédier.

A. J. - Pensez-vous, malgré les réserves que vous venez d'émettre, que ledit « modèle » fonctionne plutôt bien ? Qu'est-ce qui, selon vous, doit être corrigé en priorité ?

F. R. - Encore une fois, je me méfie des « modèles ». Je suis de ceux qui pensent que les gens doivent se prendre en main eux-mêmes. Le problème, en Suède, c'est que trop peu de gens travaillent. Or l'État-providence ne peut pleinement jouer son rôle que si le nombre de bénéficiaires est relativement restreint. Autrement dit, si tous ceux qui sont en âge de travailler travaillent. Dans le cas contraire, il est très difficile de faire face à tous les besoins d'une société : l'accueil des enfants à la crèche, de bonnes écoles, un système de soins de qualité, une prise en charge efficace des personnes âgées, etc. Nous avons besoin de plus d'emplois.
Secundo, le « modèle », pour employer cette expression, est trop dogmatique. On a longtemps dit et répété qu'il existait une séparation claire et nette entre, d'un côté, une sphère privée où l'on fabrique des voitures, des téléphones et d'autres biens de consommation et, de l'autre, un secteur du bien-être financé par l'impôt sous monopole public - sans que la productivité de ce secteur, sa rentabilité ou son dynamisme ne soient jamais évoqués. Or, dans la réalité, les choses ne marchent pas comme cela. Les gens ont envie de décloisonner l'économie, de créer leur entreprise et, dans le même temps, de s'engager au service de la communauté. Nous voulons favoriser cette évolution.
Il est possible d'adapter l'État-providence de façon que les acteurs privés et publics agissent côte à côte. Une telle réforme permettra de comparer les services fournis par les uns et par les autres et de créer un marché du travail autorisant les salariés du public à passer dans le privé (notamment dans le secteur de la santé).

A. J. - Peu de temps après l'entrée en fonctions de votre gouvernement, des mesures importantes ont été adoptées par le Parlement. Les conditions d'attribution de l'assurance chômage et son mode de fonctionnement ont été modifiés (1). Les réactions ont été vives, notamment chez les syndicats et chez les sociaux-démocrates. Jusqu'où êtes-vous prêts à aller ?

F. R. - Dans les années 1980, nous pensions, au sein de mon parti, que les problèmes économiques de la Suède étaient dus à la faible productivité de ses entreprises. Mais celle-ci a beaucoup augmenté depuis. Les progrès ont même dépassé les attentes de la plupart d'entre nous, grâce à la déréglementation opérée dans les années 1990, à l'adhésion du pays à …