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PETITS CONSEILS ENTRE AMIS...

Entretien avec James Baker par Maryam Salehi

n° 115 - Printemps 2007

Maryam Salehi - Avec le recul, pensez-vous qu'au moment de la première guerre du Golfe, en 1990, George H. Bush ait eu raison de laisser Saddam Hussein en place ?

James Baker - Les conseillers du président - dont moi-même - et le président en personne ont considéré, à l'époque, qu'il n'aurait pas été sage de poursuivre l'offensive jusqu'à Bagdad pour renverser le régime irakien. Car la seule manière de se débarrasser de Saddam aurait été d'occuper l'Irak, avec les conséquences que nous connaissons aujourd'hui. Ce n'était pas une question de moyens : nous aurions pu le faire. Mais je vous rappellerai simplement que nous intervenions en vertu d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU qui nous autorisait à bouter les troupes irakiennes hors du Koweït et que nous aurions outrepassé notre mandat en allant plus loin. Je suis convaincu que nous avons pris la bonne décision.

M. S. - Sur le plan des principes, avez-vous approuvé l'intervention décidée par George W. Bush en 2003 ?

J. B. - Absolument. La situation était très différente. Douze ans s'étaient écoulés depuis que son père avait décidé de ne pas envahir l'Irak. Douze ans pendant lesquels Saddam Hussein avait superbement ignoré toutes les résolutions du Conseil de sécurité. Et surtout, douze ans pendant lesquels, croyait-on, l'Irak avait amassé des armes de destruction massive. À l'époque, tout le monde était persuadé que les renseignements dont nous disposions étaient fiables, y compris les Russes, les Français et les Britanniques.

M. S. - Quelles erreurs l'actuelle administration Bush aurait-elle pu éviter dans la conduite de la guerre ?

J. B. - Nous avons mal évalué les difficultés de l'après-guerre.

M. S. - C'est-à-dire ?

J. B. - Nous avons cru qu'il serait beaucoup plus facile de pacifier et de stabiliser le pays. Mais, n'étant pas militaire, je suis mal placé pour distribuer les mauvais points.

M. S. - Les hommes choisis pour conduire les opérations et gérer l'après-guerre étaient-ils à la hauteur de la tâche ?

J. B. - Vous comprendrez bien que je ne répondrai pas à une telle question. Je suis encore très proche de l'administration actuelle : ses principaux responsables me consultent d'ailleurs régulièrement. Si je me répandais publiquement en critiques, ils ne le feraient probablement plus. Cela ne m'empêche pas, en tête à tête, de leur dire ce que je pense. Je rencontre le président chaque fois que je me rends à Washington mais nos échanges ne sortent pas du Bureau ovale.

M. S. - Dans votre rapport, vous critiquez la politique de George W. Bush en Irak et vous plaidez pour le retrait des troupes américaines. Est-ce une manière de prendre acte de la défaite ?

J. B. - Le groupe d'étude sur l'Irak que j'ai coprésidé n'a pas recommandé le retrait des troupes américaines. Ce que nous avons dit, c'est que, si nous parvenions à améliorer la formation des forces de sécurité irakiennes et à mettre sur pied une véritable armée capable de prendre en charge les opérations de combat, nous pourrions - j'insiste sur le conditionnel - commencer à rapatrier nos troupes. Le groupe d'étude n'a fixé aucun délai, aucun calendrier. Il n'est donc pas exact de parler de retrait.

M. S. - Il n'empêche : on a l'impression qu'il y a plus que des nuances entre vos recommandations et la politique effectivement suivie par George W. Buh en Irak !

J. B. - Méfiez-vous des « impressions ». Peu après la remise de mon rapport, j'ai passé une heure avec le président. Il a publiquement annoncé son intention de suivre nos recommandations. Mais nous sommes tombés d'accord pour considérer que nous ne pourrions pas le faire avant que la situation à Bagdad se soit stabilisée. Lorsque les membres de la commission que je dirigeais avec Hamilton se sont rendus sur place, le commandement militaire a été très clair : si ça va à Bagdad, ça ira dans le reste de l'Irak. Le président n'a pas dit autre chose.
Nous avons, par ailleurs, proposé d'engager un dialogue avec Téhéran et Damas. Or, là encore, la suite des événements a montré que nous avons été entendus : une conférence internationale a réuni, il y a peu, tous les voisins de l'Irak, y compris l'Iran et la Syrie. C'est une étape très importante pour le gouvernement américain.

M. S. - Quand vous lisez, sous la plume d'un journaliste par exemple, que les États-Unis ont virtuellement perdu la guerre en Irak, qu'avez-vous envie de lui répondre?

J. B. - Que cela ne correspond absolument pas à la tonalité du rapport. Si vous le lisez attentivement, vous verrez que rien de ce que nous préconisons ne va dans ce sens. Page 73, il est même écrit que nous sommes favorables à l'envoi de renforts à condition que ces troupes supplémentaires servent à pacifier Bagdad, que le commandement sur place donne son feu vert et que leur mission soit circonscrite dans le temps. Je vous ferai observer que la décision du président d'augmenter les effectifs de plus de 25 000 homme s'inscrit tout à fait dans cette logique. Le secrétaire à la Défense Robert Gates a bien précisé qu'il s'agissait d'un renfort provisoire. Quant au général Petraeus, qui commande les troupes américaines en Irak, c'est lui qui était demandeur.

M. S. - Votre rapport ne marque-t-il pas une rupture avec la vision de l'administration Bush qui vise à démocratiser le Moyen-Orient par la force ?

J. B. - Non. J'ai toujours défendu - et je continue de le faire à travers toutes mes interventions aux quatre coins des États-Unis - l'idée d'une politique étrangère qui serait placée sous le signe de l'idéalisme pragmatique. Dans la définition et dans la mise en oeuvre de nos priorités, nous devons concilier nos valeurs et nos intérêts nationaux. Ces deux objectifs doivent aller de pair : vous ne pouvez conduire une politique extérieure sur le long terme que si l'intérêt national est en jeu. Sinon, dès que les premiers cercueils commencent à revenir, l'opinion publique vous …