Les Grands de ce monde s'expriment dans

L'ARMEE FRANCAISE FACE AUX NOUVELLES MENACES

Entretien avec Jean-Louis Georgelin par Isabelle Lasserre, chef adjointe du service Étranger du Figaro

n° 116 - Été 2007

Isabelle Lasserre - Quelles seront les grandes orientations du mandat de Nicolas Sarkozy en matière de défense ? Qu'est-ce qui va changer et qu'est-ce qui ne va pas changer ?

Jean-Louis Georgelin - Nous avons un nouveau président, donc un nouveau chef des armées et un nouveau chef de la diplomatie. Dès lors, il est normal qu'il y ait un travail d'inventaire. Concernant la défense, il s'agira de promouvoir une réflexion d'ensemble. Il y aura, très probablement, un nouveau Livre Blanc (1). Il faudra réexaminer le fond de notre politique de défense, mais aussi celui de notre diplomatie, car il existe des liens évidents entre les deux domaines. Le président de la République a d'ores et déjà confirmé que l'effort que nous consacrons à la défense sera maintenu. De notre côté, nous devons refuser l'immobilité. Car une politique de défense qui ne s'adapte pas aux réalités géopolitiques est condamnée. Cette adaptation sera menée à un rythme soutenu, énergique et dynamique.

I. L. - Nicolas Sarkozy souhaite créer un Conseil national de sécurité (CNS) calqué sur le modèle américain. Y êtes-vous favorable ?

J.-L. G. - Attendons d'abord de voir quelles décisions seront prises. Pour l'instant, Jean-David Levitte (2) a été nommé conseiller diplomatique et sherpa du président. L'idée de créer un CNS à la française n'est pas nouvelle. La transposition en France de ce concept a souvent été évoquée, mais ceux qui en parlent ne savent pas toujours ce qu'est vraiment le CNS américain. En réalité, il existe déjà en France, avec le Conseil restreint de l'Élysée, une réunion tout à fait comparable à ce qu'est le « comité des principals » aux États-Unis (3). De trop nombreux observateurs ont tendance à confondre cette dernière instance avec le CNS. Or, en réalité, le CNS est beaucoup plus que cela. C'est une véritable administration à l'intérieur de la Maison-Blanche, qui entre régulièrement en débat avec le département d'État et celui de la Défense. En tout cas, je crois comprendre que la discussion actuelle autour de la création d'une telle institution imposera un rythme de fonctionnement plus soutenu au Conseil restreint et permettra une ouverture à d'autres cercles de réflexion que les cercles strictement gouvernementaux (notamment au milieu de la recherche), ce dont je me félicite.

I. L. - Faut-il fusionner les services de renseignement ?

J.-L. G. - Il est nécessaire de faire en sorte que nos services de renseignement - la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), la DST (Direction de la surveillance du territoire) et, dans une moindre mesure, les RG (Renseignements généraux) et la DRM (Direction des renseignements militaires) - soient mieux « branchés » sur les préoccupations du pouvoir exécutif. Mais ce ne sera pas chose aisée. De la même manière, il me semble indispensable de renforcer notre capacité de synthèse : le travail de ces centres de renseignement doit davantage profiter aux décideurs politiques. Il me paraît en effet important qu'un organisme à Paris puisse être en mesure de donner à l'exécutif et, en premier lieu, au président de la République, tous les jours, la meilleure synthèse possible des informations détenues par nos services. Un peu comme aux États-Unis... même si l'on a vu, dans ce pays, qu'une telle organisation ne suffisait pas à garantir des résultats efficaces. Il y en a eu deux exemples extraordinaires : les attentats du 11 septembre 2001 (qui n'avaient pas été prévus par les services de renseignement) et les armes de destruction massive de l'Irak (qui n'existaient tout simplement pas). Il n'en demeure pas moins que l'information connue doit pouvoir atteindre son destinataire au bon moment, ce qui est toujours un défi. C'est pourquoi il est impératif d'améliorer la coordination, l'animation et la synthèse du renseignement.

I. L. - Faut-il revoir le processus de prise de décision concernant les interventions françaises à l'étranger et, en particulier, renforcer le contrôle du Parlement sur ces décisions ?

J.-L. G. - Je pense surtout que le bon sens et le principe de réalité prévaudront. Dire que les choses, dans ce domaine, sont décidées par une ou deux personnes, c'est une présentation polémique des choses. Il faut distinguer les grandes décisions - l'état de guerre ou des opérations de grande ampleur comme la première guerre du Golfe - de celles, plus ponctuelles, qui sont soumises à l'urgence et nécessitent des réactions immédiates. Prenons, par exemple, notre réponse au bombardement de Bouaké, en Côte d'Ivoire (4). Dans de tels cas, il faut répliquer très vite. Dans le monde moderne, nos dirigeants doivent toujours agir très rapidement. On n'a pas le temps de réunir le Parlement. Nous sommes de toute façon dans un cadre politique qui a été défini après consultation du Parlement ; et le ministre de la Défense rend compte régulièrement de la réalité des choses devant les commissions parlementaires.

I. L. - Quels sont les principaux dangers auxquels nous devrons faire face dans les années à venir ?

J.-L. G. - Je vous répondrai par une phrase que l'ancien secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, a prononcée quand il a pris ses fonctions : « Dans un contexte de plus en plus imprévisible, il s'agit maintenant de prévoir que l'on sera surpris et de s'attendre à l'inattendu. » D'une manière générale, je dirai que nous sommes menacés par une spirale de l'instabilité. Nous avons oublié que la guerre, cet affrontement armé entre collectivités humaines, n'a pas disparu de la surface de la Terre. Elle prend à présent des formes différentes - le 11 Septembre l'a illustré - mais elle durera aussi longtemps que durera l'homme. Comme c'est déjà arrivé à plusieurs reprises dans l'Histoire, l'interdit qui frappait la guerre s'est peu à peu affaibli sans que nous y prenions vraiment garde. Nous sommes, comme par le passé, à la merci d'une surprise stratégique. Les menaces traditionnelles - qui visaient des territoires précis d'une manière « classique » - sont probablement éradiquées. Mais d'autres menaces sont apparues, qui rendent les prochaines années incertaines.

I. L. - D'une façon générale, assistons-nous au retour …