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Entretien avec Alexandre Medvedev par Alain Guillemoles, journaliste à La Croix, spécialiste de l'ex-URSS.

n° 116 - Été 2007

Alain Guillemoles - Après le démantèlement de l'URSS, la Russie a vu naître de nombreuses compagnies pétrolières... mais une seule compagnie gazière, Gazprom. Pourquoi ?

Alexandre Medvedev - Ce n'est pas exact : il n'y a pas que Gazprom en Russie ! Il y a, aussi, plusieurs compagnies gazières indépendantes qui fonctionnent très bien - je pense, par exemple, à Novatek, Itera, Tsentrrusgaz, Gazenergoresurs ou encore Transnafta. Et la liste n'est pas exhaustive. Entre 2000 et 2006, l'extraction de gaz réalisée par ces producteurs indépendants est passée de 69 milliards de mètres cubes à presque 95 milliards, ce qui représente une progression de plus de 37 %. Ces compagnies vendent leur gaz principalement à de gros consommateurs situés dans des régions de Russie proches des lieux d'extraction : elles leur fournissent près de 43 % du gaz dont ils ont besoin.

A. G. - Dans quelles conditions Gazprom est-il apparu ? Qui l'a créé ?

A. M. - Pour moi, l'apparition de Gazprom remonte à... 1948. Cette année-là, une « Direction générale d'extraction de gaz naturel » a été créée au sein du ministère de l'Industrie pétrolière de l'URSS. Au fil des ans, cette Direction a pris de plus en plus d'importance, au point de devenir, en 1956, un ministère de l'Industrie gazière. En 1989, le ministère est devenu un conglomérat d'État appelé Gazprom, abréviation de Gazovaia Promychlennost (industrie gazière). Le 17 février 1993, le gouvernement de la Fédération de Russie a décidé de transformer ce consortium en une RAO - une société russe par actions - toujours nommée Gazprom. C'est cette date qui a été retenue en tant qu'anniversaire officiel de notre compagnie. Enfin, en 1998, nous sommes devenus une OAO : une société par actions de type ouvert (1).

A. G. - Que pèse Gazprom aujourd'hui, sur le plan russe et mondial ?

A. M. - Les réserves de gaz naturel dont dispose Gazprom sont les plus importantes au monde. Elles représentent 17 % des réserves de la planète et 60 % de celles de la Russie, et sont évaluées à 29,8 trillions de mètres cubes. 20 % du gaz extrait dans le monde et 85 % de celui extrait en Russie le sont par Gazprom. On dit souvent de notre compagnie qu'elle serait la « colonne vertébrale de l'économie russe ».
La base de notre succès, c'est notre intégration verticale. Je m'explique : dans les années 1990, les autorités ont décidé de maintenir Gazprom en tant qu'entité unique, de ne pas la scinder en plusieurs compagnies dont chacune serait chargée d'un secteur spécifique de l'industrie gazière. C'était une décision très sage. Aujourd'hui, le marché mondial de l'énergie est le théâtre d'une concurrence acharnée. Or, grâce à notre concentration de ressources financières, technologiques, intellectuelles, etc., nous parvenons non seulement à résister à cette concurrence mais, aussi, à croître et à diversifier les produits que nous livrons à nos acheteurs : nous élargissons la géographie de nos approvisionnements ; nous développons activement l'énergie électrique ; nous produisons du gaz naturel liquéfié (GNL) ; nous augmentons notre poids sur le marché du pétrole ; nous entrons dans l'industrie du charbon... Notre objectif stratégique est clair : nous aspirons à devenir le leader mondial de l'énergie.

A. G. - De nombreux employés de Gazprom travaillent dans le secteur du gaz durant toute leur carrière. On les appelle les gazoviki. Qu'est-ce qui caractérise la mentalité d'un gazovik ? En êtes-vous un vous-même ?

A. M. - Je pense que tous ceux qui travaillent pour Gazprom peuvent se considérer comme des gazoviki. Ne serait-ce que parce que tous les employés de l'entreprise - ceux qui passent leur vie « sur le terrain », entre les gisements et les gazoducs, aussi bien que leurs collègues qui oeuvrent dans les bureaux - sont dévoués à une tâche commune : garantir la livraison de gaz à la fois en Russie et au-delà de ses frontières. Nombreux sont les collaborateurs de notre compagnie dont les parents, voire les grands-parents, travaillaient déjà dans ce domaine. Il existe de véritables dynasties de gazoviki ! Pour ces gens, l'histoire du secteur du gaz se confond avec leur histoire familiale.
Quant à leur mentalité, elle se forge dans des conditions climatiques extrêmement dures : celles du Grand Nord, où la plus grande partie du gaz est extraite. La température y chute souvent à cinquante degrés au-dessous de zéro ! Pour y travailler, il faut du courage, de l'endurance, de la volonté, de la solidarité et un grand sens des responsabilités. Telles sont les principales qualités des gazoviki.

A. G. - Gazprom est aujourd'hui l'une des plus grandes entreprises au monde. Pouvez-vous imaginer à quoi ressemblera la compagnie dans une vingtaine d'années ?

A. M. - Je vous l'ai dit : nous avons pour ambition de devenir le leader mondial de l'énergie. D'où la diversification de nos activités à laquelle nous procédons en ce moment - nous voulons nous occuper non seulement de gaz mais aussi de pétrole, d'électricité ou encore de charbon - et le renforcement de l'intégration verticale de notre organisation.
Pour le moment, Gazprom est l'indiscutable leader en matière d'approvisionnement en gaz : nous fournissons 20 % du gaz exporté dans le monde. Notre stratégie d'exportation est fondée sur les contrats de longue durée que nous signons avec nos clients - des contrats que nous pouvons remplir grâce au réseau unique de gazoducs de la Russie, dont la longueur cumulée s'élève à 155 000 kilomètres.
Gazprom exporte du gaz dans trente-deux pays, frontaliers comme lointains. À l'avenir, sous désirons continuer de renforcer nos positions sur les marchés étrangers. C'est ainsi que, en 2006, nous avons prolongé nos contrats de livraison passés avec la France, l'Italie, l'Allemagne, la Bulgarie et l'Autriche. La construction du gazoduc Nord Stream (2) a déjà démarré : cet outil nous permettra d'augmenter significativement la fiabilité et la souplesse de la fourniture de gaz sur le marché européen. De même, nous sommes en train de mettre au point un projet visant à exploiter le gisement de …