Entretien avec Said Sadi, président du RCD par Céline Beauregard
Céline Beauregard - Saïd Sadi, vous êtes kabyle et vous pourriez être candidat à la prochaine élection présidentielle. Or, en Algérie, il est communément admis que « jamais un Kabyle ne sera président ». Comment expliquez-vous cette réticence ?
Saïd Sadi - Il faut savoir que les Kabyles ne sont pas les seuls Berbères d'Algérie, mais qu'ils représentent avant tout les habitants de la Kabylie. On a souvent l'impression qu'il n'y aurait que des Kabyles en Algérie. Or la Kabylie est une région d'Algérie parmi d'autres, même si elle a occupé une place spécifique dans le mouvement national algérien. Le problème, c'est qu'au moment de l'indépendance, par une sorte de mimétisme avec le colonisateur, les Algériens ont endossé un système politique et administratif jacobin, voire stalinien. Les centres urbains ont été progressivement arabisés et la quasi-totalité des Nord-Africains ont fini par adopter l'islam comme religion.
Dans ce système marqué par une culture du nivellement par le bas, de l'intolérance et du sectarisme, mes origines constituent évidemment un handicap. Mais ce n'est pas uniquement le fait que je sois kabyle qui est en cause. C'est surtout le fait que je sois kabyle et démocrate, deux tares totalement irrémédiables dans le monde arabo-musulman d'aujourd'hui.
Si le régime reste ce qu'il est, il est clair que je n'ai aucune chance. Mais si le régime évolue - une hypothèse qui ne peut être totalement écartée dans la mesure où les gens qui ont confisqué le pouvoir depuis 1962 sont en train de quitter la vie politique et, pour certains, la vie tout court -, alors la compétition sera ouverte et une véritable perspective démocratique s'offrira au pays. Vous savez, la capacité à tolérer l'autre ne va pas de soi. Mais il faut savoir être volontariste.
C. B. - Envisagez-vous une victoire indépendamment des fraudes électorales ?
S. S. - Comment pouvez-vous dire « indépendamment des fraudes » ? La fraude est essentielle ici ! C'est le chancre qui ronge depuis toujours le destin de la nation algérienne ! Quand vous vous réveillez un matin de février en découvrant que les services de sécurité ont décidé de créer ex nihilo un parti politique (2) qui n'existait ni dans la clandestinité ni dans la mémoire algérienne, et quand, trois mois plus tard, ce même parti remporte haut la main les élections locales et législatives, vous ne pouvez pas dire « indépendamment des fraudes » !
La mascarade n'a pas duré longtemps. En réalité, la plupart de ces maires qui avaient été élus dans des conditions plus que douteuses avaient des casiers judiciaires épais comme des annuaires ! Par exemple, à Constantine, la troisième ville du pays, on a découvert que le responsable du service financier avait été assassiné par le premier vice-président de la commune... Ces scandales à répétition n'ont pas tardé à faire fuir les électeurs. Mais, grâce à d'autres fraudes, le FLN a été remis en selle. Maintenant, il est temps d'en finir.
De deux choses l'une. Soit on réunit un consensus national autour d'un certain nombre de sensibilités différentes. C'est ce qui s'est passé en 1943 lors du débarquement américain en Afrique du Nord. Les Algériens ont rédigé un mémorandum en faveur de l'émancipation du peuple algérien et, une fois ce mémorandum publié, chacun a repris sa casquette politique. Soit tous les militants se mobilisent massivement pour obtenir des élections régulières et transparentes.
C. B. - Cela n'a pas été le cas des législatives du 17 mai dernier ?
S. S. - Non seulement la fraude n'a pas régressé, mais elle s'est aggravée. Elle a été massive, grossière et brutale. C'est un très mauvais signe pour l'avenir immédiat de l'Algérie.
Comme par hasard, sur les 49 députés élus sur nos listes, il nous en est resté 19. Savez-vous pourquoi ? Tout simplement parce que, d'après la Constitution algérienne, pour qu'un parti politique puisse introduire un projet de loi, il lui faut 20 députés. Je rappelle qu'en 1997 nous nous sommes retrouvés exactement dans le même cas de figure, juste sous la barre fatidique des 20 députés ! Cette situation nous bâillonne totalement. Mais il ne faut pas baisser les bras.
Lors de l'ouverture officielle de l'Assemblée, le jeudi 31 mai 2007, j'ai été le seul à dénoncer ces abus. Beaucoup de députés des partis au pouvoir sont venus me féliciter dans les couloirs, mais personne n'a osé s'insurger publiquement.
C. B. - Pourquoi l'Union européenne n'intervient-elle pas pour exiger la tenue d'élections régulières ?
S. S. - Parce que l'Algérie a des moyens de rétorsion économiques sur les États européens, tout simplement ! Entre stabiliser la rive sud de la Méditerranée, qui est un projet de longue haleine, et profiter de son gaz et de son pétrole, le choix est vite fait !
Je comprends très bien que le régime algérien exerce un chantage énergétique et je comprends très bien, aussi, que les pays d'Europe défendent leurs intérêts. Mais c'est une chose de défendre ses intérêts ; c'en est une autre de jouer la politique du pire !
Lorsque, en 2005, Bouteflika a décidé d'absoudre les islamistes en lançant un référendum auquel 17 % des inscrits ont participé, la France a été la seule à saluer cet acte hautement démocratique. Pourquoi ? Parce que Bouteflika avait appâté Chirac avec son traité d'amitié et laissé entendre qu'Alstom pourrait obtenir des contrats.
Aucun autre pays au monde n'a osé féliciter Bouteflika. Les Américains eux-mêmes ont dit qu'un référendum sans débat contradictoire ne saurait être un référendum. Et pourtant, eux aussi ont des intérêts ici ! Il n'y a que la France qui se soit manifestée. Les Algériens s'en souviennent encore...
C. B. - Justement, parlons de ce référendum. Selon vous, c'est lui qui est indirectement à l'origine des attentats suicides du 11 avril dernier à Alger...
S. S. - En effet, ce qui s'est passé le 11 avril à Alger était prévisible. C'est la conséquence directe de cette parodie de référendum qui devait prétendument régler la question intégriste. C'est bien cette politique de réconciliation nationale …
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