Entretien avec Alexandre Loukachenko par Christophe Chatelot
Christophe Châtelot - La Biélorussie fait depuis des années l'objet de nombreuses critiques de la part des pays voisins, qu'il s'agisse des membres de l'Union européenne ou de la Russie. Ne vous sentez-vous pas isolé ?
Alexandre Loukachenko - Je sais qu'il est de coutume de présenter notre pays comme étant complètement isolé. Or une telle vision des choses est très éloignée de la réalité. Si nous sommes isolés, alors comment se fait-il que notre PIB ne cesse d'augmenter ? Dois-je rappeler que nous sommes la première république ex-soviétique à avoir retrouvé son PIB d'avant la chute de l'URSS ? La vérité, c'est que la Biélorussie n'est pas isolée. Nous avons d'excellentes relations, tant sur le plan politique qu'en matière économique, avec de nombreux autres pays de la planète. On ne peut donc certainement pas parler d'isolement ! Je dirais même que la notion d'« isolement » est un anachronisme en soi. Comment serait-il possible d'isoler un pays qui se trouve au centre de l'Europe et où se croisent les intérêts de nombreuses grandes puissances ?
C. C. - L'Union européenne a fait savoir qu'elle ne renouerait ses relations avec la Biélorussie qu'à la condition d'une « amélioration des libertés individuelles » dans votre pays. Êtes-vous prêt à vous soumettre à cette exigence ?
A. L. - Les mesures recommandées par l'Union européenne sont risibles. On nous demande de procéder à des réformes... qui ont déjà été menées à bien depuis longtemps ! L'UE souhaite voir plus de libertés publiques en Biélorussie alors que, sur ce point, nous n'avons rien à envier à d'autres démocraties, comme la France par exemple.
Pourtant, afin de lever toute ambiguïté, nous étions prêts à entamer un vrai dialogue avec l'Union européenne. Mais les fonctionnaires européens se montrent particulièrement inconséquents : ils interdisent de visa les dirigeants biélorusses qui pourraient conduire ce dialogue ! Comprennent-ils que sanction et dialogue sont incompatibles ?
Mon sentiment est qu'il y a un double langage de l'UE. Elle se dit prête au dialogue avec nous et, dans le même temps, elle finance l'opposition (1). Je me pose donc la question : l'UE veut-elle dialoguer avec la Biélorussie ou bien servir d'intermédiaire entre le gouvernement et l'opposition ?
C. C. - L'Europe vous critique sévèrement. Les États-Unis qualifient votre régime de « dictature ». Comment expliquer le décalage entre ces jugements et votre présentation d'une Biélorussie parfaitement démocratique ?
A. L. - Il suffit de se promener dans les rues de nos villes pour se rendre compte que la réalité est bien éloignée de la description apocalyptique que l'Europe et les États-Unis font de notre pays. À vrai dire, je ne comprends même pas de quelle dictature il est question ! Et je serais curieux d'apprendre en quoi notre prétendue « dictature » se distingue de certains régimes avec lesquels les pays occidentaux entretiennent d'excellentes relations...
Ce n'est pas seulement une question de rhétorique : le fait est que personne ne nous a expliqué sur quels critères on se base pour nous qualifier de dictature. Qu'on nous le dise et, au moins, nous aurons une base de travail !
C. C. - Toutes les accusations dont vous faites l'objet sont donc dénuées de fondement ?
A. L. - Jugez vous-même ! Vingt confessions sont représentées dans le pays, mais il n'y a aucun signe de conflit religieux. Partout - à Minsk comme dans les villages -, les gens se promènent jour et nuit sans crainte. Les structures criminelles sont combattues avec sévérité. Aucun délit de corruption ne reste impuni. Nous n'avons pas le moindre problème en ce qui concerne la coopération avec les pays voisins. Nous ne sommes pas de ces États agressifs qui envoient leurs soldats à l'étranger pour tuer des vieillards et des enfants. Quant à notre opposition politique, lorsqu'elle descend dans la rue, nous n'utilisons ni gaz lacrymogène ni balles en caoutchouc pour la réprimer. Dans notre société, n'importe qui peut regarder n'importe quelle chaîne de télévision étrangère, y compris les chaînes russes que l'Occident estime démocratiques (2). Deux tiers des maisons d'édition en Biélorussie sont non officielles. Et on peut acheter sans encombre des journaux opposés au président, même au siège de l'administration présidentielle ! Tout cela ne correspond-il pas aux critères démocratiques que l'Ouest exige de nous ? Comment peut-on sérieusement nous qualifier de dictature ?
En réalité, notre politique est dictée par notre sens de l'indépendance et par la fierté que nous inspirent notre présent et notre passé. Un Biélorusse sur trois est mort pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous avons beaucoup fait pour sauver du nazisme le reste du monde - y compris les pays qui, aujourd'hui, nous accusent de tous les maux. Si les Soviétiques n'avaient pas triomphé de l'Allemagne nazie, nous ne pouvons imaginer ce que la France, par exemple, serait devenue. En fait, non, nous savons très bien ce qui se serait passé ! Ne serait-ce que pour cette raison, nous méritons le respect. Nous sommes fiers de notre histoire et nous n'aimons pas que l'on nous impose notre conduite. C'est le sens principal de notre politique.
J'ajoute, enfin, qu'à l'inverse d'autres pays nous ne vivons pas des crédits accordés par l'étranger. Notre dette extérieure est inférieure à 2 % du PIB. Or chez certains des amis « démocratiques » de la France, ce ratio atteint 100 % ! En d'autres termes, ils vivent sur le dos de la France. Nous, nous sommes financièrement indépendants.
Quelle est donc notre faute aux yeux de l'Europe ? Quoi qu'il en soit, une chose est sûre : si des faucons en Europe souhaitent installer en Biélorussie le chaos et l'instabilité, ils échoueront.
C. C. - Vous avez perdu votre statut d'observateur au Conseil de l'Europe (3). Ne voulez-vous pas réintégrer cette assemblée ?
A. L. - Si, mais cette question ne dépend pas de nous. Sans doute avons-nous causé trop de problèmes aux Français à Strasbourg ! Je plaisante...
Quant aux conditions posées par le Conseil de l'Europe, ce sont les mêmes que …
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