Entretien avec Jonas Gahr store par Laure Mandeville, Grand reporter au Figaro
Laure Mandeville - La question de l'énergie figure désormais au coeur des relations internationales. Cette nouvelle priorité confère-t-elle à la Norvège une place et une responsabilité particulières sur la scène mondiale ?
Jonas Gahr Støre - Cela fait vingt-quatre mois que je suis ministre et s'il y a un domaine dans lequel j'ai senti un changement notable, c'est bien l'énergie. Le problème des ressources et la sécurisation des approvisionnements sont devenus des préoccupations majeures. Tout le monde en parle. Cet intérêt est lié à deux facteurs : l'augmentation des prix et la crainte d'une pénurie. L'impact du réchauffement climatique sur l'accès aux hydrocarbures dans le Grand Nord joue également un rôle important. En tant que troisième exportateur mondial de gaz et de pétrole, la Norvège est directement concernée. D'autant que la zone arctique, dont elle est une sorte de sentinelle en raison de la souveraineté qu'elle exerce sur le Spitzberg, pourrait devenir un nouvel Eldorado.
L. M. - Cette manne énergétique est tombée du ciel dans les années 1960. Comment l'avez-vous gérée ?
J. G. S. - En 1958, les services de géologie norvégiens ont conclu qu'il était absolument certain qu'on ne trouverait jamais d'hydrocarbures sur le plateau continental. Or, coup de théâtre assez drôle, quelques années plus tard on en découvrait ! En 1970, un nouveau chapitre de notre histoire s'est ouvert. Notre succès tient certainement au fait que, dès le départ, notre stratégie a consisté à ouvrir nos portes aux compagnies étrangères, à solliciter leurs investissements et leurs technologies. Parallèlement, nous avons soutenu les compagnies nationales. Norsk-Hydro, dans laquelle des intérêts français sont présents depuis longtemps, existait déjà. Nous avons créé Statoil, une compagnie détenue à 100 % par des capitaux publics (1). Pendant les années 1970 et 1980, il a fallu relever le défi de l'exploitation des gisements de la mer du Nord, au sud de nos côtes. Puis nous sommes remontés progressivement vers le nord et avons développé des technologies permettant d'exploiter de nouveaux champs beaucoup plus difficiles d'accès, situés en profondeur. S'est posée en permanence la question de la coexistence des installations pétrolières avec les zones de pêche - la pêche demeurant un secteur clé de notre économie. Le jour où nos compagnies ont été prêtes à affronter la concurrence, nous les avons laissées se débrouiller seules face aux entreprises étrangères. C'était le meilleur moyen de les pousser à devenir compétitives.
L. M. - Quelles sont les avancées technologiques qui vous ont permis d'exploiter des gisements jusque-là inaccessibles ?
J. G. S. - Les progrès sont, en effet, spectaculaires. Il y a quelques années, tout se faisait à partir de bateaux et de plates-formes. Aujourd'hui, il n'y a plus ni plates-formes ni bateaux : les installations sont construites au fond de la mer et téléguidées à partir de la terre. Des gisements qui, autrefois, étaient trop chers et trop compliqués à exploiter sont devenus rentables. C'est le cas de SnowWhite, situé dans la mer de Barents au nord de Hammerfest, à 150 kilomètres des côtes. Découvert en 1980, il produira ses premiers barils d'ici quelques mois.
L. M. - La Norvège a été l'un des premiers pays à attirer l'attention sur l'importance géopolitique croissante de cette région. Il y a deux ans encore, personne ne s'en souciait. Et puis, tout à coup, avec le réchauffement climatique et la fonte de la banquise, tout le monde se précipite dans l'Arctique pour y planter des drapeaux, y procéder à des exercices militaires et y revendiquer des territoires sous-marins (2)... Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ?
J. G. S. - Avant, c'était le lieu du face-à-face stratégique de la guerre froide, là où se croisaient les sous-marins atomiques américains et soviétiques. Aujourd'hui, c'est le lieu du face-à-face sur l'énergie. Cinq gazoducs descendent déjà vers l'Europe. On produit aussi du gaz naturel liquéfié (GNL) transporté par tankers vers l'Espagne et les États-Unis. De leur côté, les Russes ont commencé à extraire du pétrole offshore à Petchora. Ils passent par la Norvège pour accéder aux grands marchés. Enfin, il y a le fameux gisement gazier russe de Stokman, le plus vaste de la mer de Barents, qui n'a toujours pas été mis en exploitation. Comme vous le voyez, les perspectives sont immenses. Selon nos prévisions, un gazoduc norvégien remontera jusqu'au nord. Et si Stokman est mis en service, les Russes construiront également un gazoduc nord-sud. Cette zone est donc appelée à se développer selon trois axes : le gaz transporté par gazoduc côté norvégien et russe ; le GNL acheminé par bateau de Norvège et de Russie ; et le gaz et le pétrole exportés par bateau. C'est le début d'une épopée que tout le monde considérait comme improbable.
L. M. - Quelles seront les retombées pour la Norvège ?
J. G. S. - Très concrètement, la Norvège va pouvoir augmenter ses exportations de gaz vers l'Europe de 50 % d'ici à 2012. À cette date, nous aurons rattrapé la Russie : nous fournirons 30 % de l'approvisionnement européen. C'est déjà le cas pour la France. L'augmentation de notre production s'explique par l'amélioration des techniques d'extraction. Dans les années 1980, on récupérait environ 20 % du gaz enfoui dans le sol. Demain, ce pourcentage pourrait grimper jusqu'à 60 ou 70 %.
L. M. - Compte tenu des performances norvégiennes, comment expliquez-vous que les Européens se focalisent à ce point sur la Russie ?
J. G. S. - D'abord, depuis le début, la Norvège a choisi de ne pas faire de l'énergie une carte explicitement politique ou diplomatique. Nous estimons que notre intérêt est d'être considérés comme un fournisseur de long terme auquel on peut faire confiance. Si un pays de notre taille s'engageait dans le petit jeu qui consiste à exporter vers l'un plutôt que vers l'autre, il prendrait le risque de devenir prisonnier de ce jeu. Il est évident que lorsque vous vendez une marchandise aussi stratégique que le pétrole ou le gaz, vous avez, que vous le vouliez ou non, un poids politique. Et ce statut …
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