Entretien avec Mahmoud Az-Zahar par Bertrand de Lesquen, Journaliste indépendant et Didier Francois
Bertrand de Lesquen et Didier François - Comment expliquez-vous cette rupture violente entre le Fatah et le Hamas ?
Mahmoud az-Zahar - Il faut remonter à plusieurs années en arrière pour en comprendre la raison. En 1994, l'Autorité palestinienne décide de s'installer ici, à Gaza, sans demander son avis au peuple palestinien. Elle poursuit dans cette voie avec la signature, sans plus de consultation populaire, des accords d'Oslo (1). Ni le Djihad islamique ni le Hamas ne sont consultés au prétexte qu'ils ne font pas partie de l'OLP (2). Au mépris de tous les principes démocratiques. À peine installée, l'Autorité palestinienne a entrepris de nous réduire politiquement. Elle a confisqué nos armes, placé nos responsables en résidence surveillée, jeté nos militants en prison, dévoilant ainsi sa stratégie de collaboration avec Israël. Elle a formé des ministères entièrement composés de membres du Fatah. Les principales victimes de cette offensive furent le Djihad islamique, le Hamas et les courants acquis à la résistance au sein du Fatah. Nous savons également aujourd'hui, grâce aux documents que nous avons pu découvrir, que l'un des objectifs de ce clan était le détournement à son seul profit des milliards de dollars de la cause palestinienne.
B. L. et D. F. - Comment avez-vous réagi ?
M. Z. - Nous nous sommes d'abord battus pour exiger des élections et des réformes. Sans succès. En mars 2005, nous avions obtenu, dans le cadre des accords du Caire (3), la promesse d'une réforme de l'OLP. Elle n'a jamais eu lieu. En mai 2005, nous avons gagné les élections municipales à Gaza et en Cisjordanie. Ils ont fait invalider les résultats par des tribunaux corrompus. En janvier 2006, nous remportons démocratiquement les élections législatives avec 65 % des suffrages mais, là encore, ils refusent le résultat des urnes et rejettent l'idée d'un gouvernement d'unité nationale. Nous avons passé cinq semaines à négocier sans poser une seule condition. Ils ont par la suite encouragé les Américains et les Européens à boycotter le gouvernement légitimement élu du Hamas. Ils ont fait en sorte que les Israéliens instaurent un embargo sur les droits et les taxes pour en saper l'assise financière. Ils ont mis en oeuvre la politique du « désordre discipliné » promue par Condoleezza Rice.
B. L. et D. F. - Qu'entendez-vous par là ?
M. Z. - Ils ont adopté le principe de la désobéissance civile. Ils ont commencé par appeler à des grèves limitées dans les secteurs de la santé, de l'enseignement et de la sécurité. La majorité des 80 000 employés des services de sécurité n'assuraient plus la protection de la population, des étrangers, des journalistes et des bâtiments administratifs. Ils ont continué leur action avec le coup du Document des prisonniers (4). Nous avons accepté de travailler, à partir de ce document, à un texte d'entente qu'ils ont agréé mais qu'ils n'ont pas appliqué sur le terrain. Ils ont ensuite évoqué l'idée d'organiser un référendum sur la tenue de législatives anticipées, alors même que des élections démocratiques avaient déjà eu lieu en janvier 2006. Ils ont ensuite joué la carte de la grève générale des administrations. Les points de passage vers Israël et l'Égypte (5) ont été supprimés. Les hôpitaux ont fermé pendant quatre mois. Vous pouvez imaginer les conséquences dramatiques pour tous les patients atteints de maladies graves ou astreints à des traitements lourds.
B. L. et D. F. - Comment évaluez-vous la situation à ce moment-là ?
M. Z. - Nous étions alors convaincus que l'objectif d'Abou Mazen (6), enfermé dans une logique de collaboration, était de détruire totalement le Hamas. Nous avons retrouvé des enregistrements vidéo dans lesquels il appelait clairement à tuer tous ceux qui tiraient une roquette sur Israël. Des chefs des services secrets se vantaient même de pouvoir nous éliminer en quelques secondes. Dès lors, la situation n'a cessé de se dégrader. De janvier à juin 2007, plus de 300 personnes ont été assassinées. On en a compté 83 rien qu'entre le 1er et le 13 juin : des responsables, des militants ou de simples sympathisants. Là, c'est une jeune fille de 18 ans parce qu'elle porte le hijab ; ailleurs, c'est un homme de 55 ans parce qu'il arbore la barbe. Un certain Samir Elmadoun a reconnu les faits à la télévision : il a avoué avoir mis le feu à des maisons, tué et enlevé des membres du Hamas. Les hommes du Fatah les torturaient dans leur quartier général près du palais présidentiel. Il fallait prendre une décision pour protéger le gouvernement et l'union nationale. La solution ne pouvait plus être que militaire.
B. L. et D. F. - Cette décision d'attaquer le Fatah a-t-elle fait l'objet d'un débat au sein du Hamas ?
M. Z. - Elle s'est imposée naturellement. Pouvait-on attendre d'être anéantis ? Nous avions déjà été très patients, peut-être trop. Quand nous avons pris la décision d'agir, ils avaient déjà eux-mêmes pris la décision de nous supprimer. Pourquoi ? Parce que nous avions remporté les élections en janvier 2006 ! Cela en dit long sur la vision qu'ont les États-Unis et l'Europe de la démocratie...
B. L. et D. F. - Qui a participé à cette action ?
M. Z. - Toutes les personnes liées au Hamas y ont participé car il s'agissait d'un choix entre deux projets.
B. L. et D. F. - Pensez-vous que l'embargo imposé par l'Union européenne et les États-Unis après votre victoire électorale ait pu pousser le Fatah à agir contre vous pour, en quelque sorte, éliminer la source du problème et revenir à une situation normale ?
M. Z. - C'est évident. Le Fatah a par ailleurs été soutenu par Israël qui a mené plusieurs bombardements aériens, renforcé l'embargo en gelant 700 à 800 millions de dollars dus à l'Autorité palestinienne et favorisé la livraison d'armes à nos ennemis. Oui, ils sont tous responsables de la défaite du Fatah à Gaza.
B. L. et D. F. - Pensez-vous que l'échec militaire du Fatah conduira ses dirigeants à ne plus …
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