Entretien avec Hoshyar Zebari, Ministre irakien des Affaires étrangères depuis juin 2004. par Isabelle Lasserre, chef adjointe du service Étranger du Figaro
Isabelle Lasserre - La passe d'armes, début septembre, entre le premier ministre Nouri al-Maliki et Bernard Kouchner, qui avait évoqué son remplacement, est-elle oubliée ?
Hoshyar Zebari - Totalement. Bernard Kouchner s'est d'ailleurs excusé une nouvelle fois pendant notre rencontre à Paris (1). L'important, nous en sommes convenus, est de conserver l'esprit de sa visite à Bagdad. Et celui-ci tient en quelques mots : plus jamais la France ne sera indifférente à l'Irak. Les interminables débats sur la légitimité de la guerre sont enfin terminés. Paris a réalisé que les Américains avaient un problème en Irak et qu'il était dans l'intérêt de tout le monde d'y faire face.
I. L. - Maliki est malgré tout contesté, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays. Quel est son problème et doit-il partir ?
H. Z. - D'abord, pour tout ce qui concerne Maliki et le gouvernement, c'est le peuple irakien qui décide et non les pays étrangers. N'oublions pas que ce gouvernement est un gouvernement légitime, issu d'élections régulières. Ensuite, le problème, ce n'est pas Maliki, mais le fait que nous ayons un gouvernement de coalition obligé de composer avec les différentes communautés. La recherche de ce consensus prend du temps et empêche que des décisions fortes soient prises. Ce serait la même chose avec n'importe qui.
I. L. - Comment la France peut-elle aider à la stabilisation de l'Irak ?
H. Z. - La France a une politique active au Moyen-Orient, et l'Irak constitue le coeur de ce Moyen-Orient. L'aide principale que la France peut nous apporter est d'ordre politique. Jusque-là, Paris estimait que, la guerre ayant été conduite par les États-Unis, les conséquences devaient être assumées par eux seuls. Et comme Paris joue un rôle important en Europe, l'Union européenne avait peu ou prou endossé la position française. Mais ce temps-là est révolu. Les choses ont changé. À Bagdad comme à Paris, nous sommes d'accord pour dire qu'il ne faut plus penser au passé et aux erreurs, mais qu'il faut relever les défis. Il est dans l'intérêt de tous de résoudre les problèmes de l'Irak. Alors, comment la France peut-elle y contribuer ? En travaillant avec nous pour soutenir le nouveau rôle de l'ONU. Les Français peuvent aussi nous aider dans la formation de nos juges et de nos forces de sécurité. Ils peuvent participer à la protection des droits de l'homme.
I. L. - L'ONU va-t-elle remplacer les soldats américains et payer les pots cassés ?
H. Z. - Il ne s'agit pas de remplacer les troupes américaines et britanniques, mais d'accorder une plus grande place aux Nations unies afin d'adapter la présence étrangère à la situation nouvelle. Par exemple, nous avons un grand besoin d'assistance humanitaire. Il faudrait que l'Unicef, le PNUD et les autres agences de l'ONU s'installent à Bagdad.
I. L. - D'après une récente étude américaine (2), on peut désormais parler de véritable guerre civile en Irak. Êtes-vous d'accord pour employer cette expression ?
H. Z. - Non. Pour la simple et bonne raison que les critères d'une guerre civile ne sont pas réunis. Dans une guerre civile, les violences sont généralisées à tout le pays, le gouvernement s'est effondré, il existe des divisions entre l'armée et les forces de sécurité. Ce n'est pas le cas en Irak, où la volonté politique de vivre ensemble reste intacte et où le dialogue n'a pas été interrompu.
I. L. - Est-il temps de retirer les troupes étrangères ?
H. Z. - Surtout pas. Les troupes étrangères jouent un rôle dissuasif qui, précisément, empêche le déclenchement d'une guerre civile. Que les soldats américains se retirent et ce sera la catastrophe. Sans compter que les pays voisins pourraient alors être tentés d'envoyer leurs troupes en Irak.
I. L. - Quelles solutions préconisez-vous pour sortir du bourbier ?
H. Z. - Il faut renforcer l'engagement de la communauté internationale et poursuivre l'effort de formation de nos forces de sécurité. La police n'est pas encore opérationnelle ; elle est rongée par la corruption et infiltrée par les milices. Il faut aussi favoriser la réconciliation nationale, améliorer le niveau de vie au plan local et achever la législation sur les ressources pétrolières.
I. L. - Où en est l'insurrection aujourd'hui ? Son profil a-t-il évolué ?
H. Z. - Depuis un an, elle a perdu du terrain grâce aux renforts arrivés au printemps dernier et grâce à la répression impitoyable contre ceux qui violent la loi. Les insurgés ont été chassés hors de leur territoire. Nous en voulons pour preuve la diminution du nombre de voitures piégées et de meurtres sectaires au cours des derniers mois à Bagdad (3).
I. L. - Est-ce également le cas pour Al-Qaïda ?
H. Z. - Absolument. Les bases d'Al-Qaïda à Anbar et Dyala, au nord-est de Bagdad, ont été réduites. L'organisation a subi de lourdes pertes ; elle est désormais sur la défensive. Elle n'a plus vraiment de zones où s'installer et a du mal à recruter ; elle est, d'ailleurs, obligée de se tourner vers les enfants. Le fait que les Arabes sunnites aient coopéré avec nous au niveau local et pris les armes contre les combattants étrangers a contribué à changer la donne et à rendre l'insurrection moins efficace. Je suis persuadé qu'Al-Qaïda n'a pas d'avenir en Irak. Ces succès restent néanmoins fragiles. Il faut d'urgence les consolider en améliorant la sécurité et la qualité des services publics.
I. L. - Qui se cache derrière les insurgés ?
H. Z. - Une partie de l'insurrection est indigène. Elle lutte contre l'occupation, contre la démocratie et la règle de la majorité. Elle est constituée par les fidèles de l'ancien régime - des Irakiens qui ont perdu leur travail et leur pouvoir. Et puis il y a Al-Qaïda et les étrangers : des spécialistes des attaques suicides et des voitures piégées, qui viennent du Maroc, de Syrie, de Jordanie, d'Afrique du Nord, mais aussi de France, d'Espagne et d'Allemagne. Ceux-là sont les plus dangereux parce qu'ils se font exploser en pleine ville. Il est difficile …
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