Entretien avec José Socrates par Jean-Jacques Lafaye, Collaborateur de la revue Politique Internationale depuis 1983
Jean-Jacques Lafaye - Vous portez un nom exceptionnel, celui du père des philosophes...
José Socrates - C'est peut-être ce qui explique mon goût pour la philosophie ! Plus sérieusement : j'aime l'idée qu'une fois le temps de l'action politique révolu, je pourrai retourner à la conversation des grands auteurs classiques et à l'approfondissement des dialogues de l'esprit. Une carrière politique s'achève toujours sur un échec, et nous n'en connaissons jamais le terme à l'avance.
J.-J. L. - Votre parcours personnel est mal connu. On dit qu'avant de rejoindre le Parti socialiste portugais, vous étiez sympathisant du Parti social-démocrate de vos opposants actuels...
J. S. - Cette histoire est un mythe. J'ai toujours été un social-démocrate. Après la révolution de 1974, mes premières lectures politiques étaient réservées à Bernstein, l'auteur du Socialisme démocratique, qui m'a largement inspiré. Je me souviens d'une de ses formules : « La démocratie, c'est le règne du compromis. » Toute ma vie, j'ai été un adepte du compromis. Il est exact que j'ai adhéré au PSD pendant un an, lorsque j'avais seize ans, pour la simple raison qu'il se présentait comme « social-démocrate ». Mais j'ai vite compris qu'il s'agissait en réalité d'un parti de centre droit. Pendant mes études universitaires, je n'ai pas eu d'engagement partisan, et ce n'est que dans les années 1980 que j'ai décidé de m'inscrire au Parti socialiste.
J.-J. L. - Dans votre politique de réforme, vous êtes soutenu à la fois par le président Cavaco Silva, issu des rangs du PSD (centre droit), et par son ancien opposant, Mario Soares (centre gauche). Auriez-vous trouvé le chemin de l'union nationale ?
J. S. - Le président Cavaco Silva a fait campagne sur le thème d'une coopération stratégique avec le gouvernement. Je pense qu'il est très conscient des difficultés que traverse notre pays et de la nécessité de mettre en oeuvre des réformes. Cette coopération va au-delà de nos deux personnes ; il s'agit d'une véritable tradition de notre système politique, très différente de la « cohabitation » à la française (1). Je dois dire que son attitude a créé un climat de confiance salutaire.
Quant à Mario Soares, il a su transmettre à mon parti l'idée que la liberté est la valeur fondamentale d'un socialisme contemporain. L'un des premiers slogans de notre parti était : « Le socialisme en liberté. » Mario Soares a eu le courage d'affronter le communisme et d'empêcher l'instauration d'une nouvelle dictature lors de notre « été chaud » de 1975. Son combat en faveur de la liberté est entré, si je puis dire, dans l'ADN du Parti socialiste portugais. C'est pour moi un pionnier et une grande source d'inspiration personnelle. Je vais vous raconter une histoire le concernant. Dans les années 1990, il a été invité à participer à un Congrès du Parti socialiste français. Il a été pris à partie par un membre important du PS qui l'a accusé de « traîtrise » au motif qu'il n'avait pas formé de Front populaire avec le Parti communiste. Savez-vous qui c'était ? Jean-Pierre Chevènement ! S'il fallait choisir entre l'égalité et la liberté, aucun doute n'est possible : je serais du côté de la liberté.
J.-J. L. - Vous avez employé l'expression « humanisme de rupture » pour caractériser votre action : qu'entendiez-vous par là ?
J. S. - Simplement ceci. Je constate que tous les pays, en particulier européens, ont besoin de réformes. Certains intellectuels parlent d'un monde « post » : post-capitaliste, post-démocratique, post-industriel... Ce qui revient à dire que nous ne comprenons pas le monde tel qu'il est, que nous sommes incapables d'interpréter le moment que nous vivons avec les schémas mentaux hérités du passé. En vérité, le monde « post » est un monde en changement très rapide. Et face à ces changements, rien ne serait pire que l'immobilisme. C'est pourquoi j'ai la plus grande sympathie pour la politique du président Sarkozy, car elle exprime une véritable volonté de transformation : c'est un plus pour la France et pour l'Europe. L'espérance humaniste passe par ce courage réformateur.
J.-J. L. - Depuis votre prise de fonctions, il y a deux ans, vous engrangez les succès : croissance en hausse, chômage en baisse, déficit public jugulé. À mi-mandat, quel bilan dressez-vous ?
J. S. - Regardons d'abord ce qu'était le Portugal en 2005 : un pays au bord de la récession, avec un déficit de 6,83 %. Tous les clignotants étaient au rouge. Nous subissions de plein fouet la concurrence des nouveaux membres de l'UE sur nos marchés à l'export. De plus, nous étions touchés par la montée en puissance des nouveaux géants - la Chine et l'Inde - dans nos secteurs traditionnels comme le textile ou la chaussure. Deux ans après, la croissance est de nouveau au rendez-vous, et le déficit en voie de réduction - il devrait se stabiliser à 3,3 % fin 2007. Les Portugais ont compris la nécessité de contrôler les dépenses publiques et de revenir enfin à l'équilibre budgétaire. Nous avons également mis en oeuvre la réforme de la sécurité sociale la plus ambitieuse et la plus profonde de tous les pays de l'Union européenne. Qu'avons-nous fait ? Premièrement, s'agissant des fonctionnaires, l'âge de la retraite a été porté à 65 ans, comme dans le secteur privé, à une seule exception : les forces de sécurité et les forces armées, qui partiront à 60 ans contre 57 actuellement. Deuxièmement, depuis le 1er janvier 2007, le montant des pensions est calculé par rapport à un coefficient qui tient compte de l'espérance de vie.
Autrefois, la retraite était calculée à partir des dix meilleures des quinze dernières années de travail ; aujourd'hui, elle est basée sur l'ensemble de la carrière des salariés. Certes, ce système peut se traduire par une baisse du niveau des retraites, mais il est plus juste dans la mesure où il reflète mieux l'effort contributif de chaque citoyen. Le mécanisme d'actualisation des pensions est désormais fixé par la loi et est directement en rapport avec l'évolution de l'économie. …
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