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SOUDAN: L'AME DE LA RESISTANCE

Entretien avec Abdul Wahid Al-Nour, Fondateur du Mouvement de libération du Soudan (SLM), principal mouvement rebelle du Darfour. par Alexandre Del Valle, essayiste et éditorialiste

n° 117 - Automne 2007

Alexandre Del Valle - M. Al-Nour, pouvez-vous nous décrire votre parcours ? Dans quel contexte avez-vous fondé le Mouvement de libération du Soudan (SLM) ?

Abdul Wahid Al-Nour - Je suis né en décembre 1968 au Soudan, dans l'ouest du Darfour, dans une petite ville appelée Zalingei. Ma famille est originaire du djebel Marra, dans la province de Torrah, qui a été la capitale du sultanat four. Pour comprendre cette région, il faut savoir que le Darfour a été un sultanat indépendant jusqu'en 1916 (1). Nous avons donc une tradition nationale qui nous est propre. J'ai effectué mes études primaires et secondaires à Zalingei, avant d'intégrer le lycée d'Al-Fasher, puis celui de Madani - la deuxième plus grande ville du Soudan et chef-lieu de la région d'Al Ghazira. En 1990, je me suis inscrit à l'université de Khartoum, dont j'ai été diplômé en droit en 1995. Je suis devenu avocat en 1996.
En 1992, encore étudiant en droit, j'ai créé le SLM en réaction à l'établissement, par un coup d'État, du gouvernement militaro-islamiste du général Al-Bachir (en juin 1989). Comme vous le savez, son parti, le Front islamique, avait remporté moins de 10 % des suffrages aux élections législatives...
Aujourd'hui, le Front islamique s'appelle Congrès national, mais le fond n'a pas changé : c'est toujours la même dictature sanguinaire qui impose la charia à toute la population et qui finance le terrorisme international.

A. D. V.- Qu'est-ce que le SLM et quels buts se donne-t-il ?

A. A. N. - Le SLM est né à l'université de Khartoum. Il s'est constitué autour de dix-sept fondateurs, et ses membres sont issus de partout au Soudan. Le pays était plongé dans le chaos. Le pouvoir islamiste avait repris la guerre dans le sud contre les chrétiens et les animistes, une guerre terrible qui s'est soldée au total par près de deux millions et demi de victimes ; il avait, aussi, lancé un djihad contre les habitants des monts Nouba, ce qui a abouti à l'extermination de 500 000 de ces malheureux; et la guerre faisait rage dans l'est dans la région du Nil bleu. Même Khartoum n'était pas épargnée par les troubles. Nous nous sommes demandé comment apaiser nos compatriotes, comment réunifier les peuples du Soudan et faire cesser les guerres civiles, comment mettre fin à la haine religieuse et ethnique...
Nous avons voulu reconstruire le pays à partir des idéaux que nous partagions : le respect des droits de l'homme et du droit international ; l'égalité des droits des citoyens ; la promotion de la démocratie chez nous et dans la région ; et la sécularisation de l'État. Nous estimons, en effet, que la nation appartient à tous et la religion à chacun. C'est autour de ce programme que nous avons mobilisé la population dans tout le pays. On oublie souvent, en Occident, que le combat du SLM est d'abord national, qu'il concerne l'ensemble de notre pays. Un pays - je le répète - que terrorise une dictature arabo-islamiste raciste, génocidaire et intra-colonialiste.
Cette première phase de mobilisation a duré près de dix ans et a été couronnée de succès. Même si notre action se déroulait dans la clandestinité, nous étions populaires et nous comptions de plus en plus de soutiens, spécialement au sein des universités, derniers endroits où les élections étaient encore un tant soit peu libres. La deuxième phase a été la rébellion armée. C'est la répression sauvage et aveugle du gouvernement de Khartoum au Darfour qui nous a amenés à créer la SLA - le mouvement militaire qui représente les forces de défense du SLM, lequel conserve la totalité des centres de décision.

A. D. V. - Vous affirmez que, depuis l'arrivée au pouvoir d'Al-Bachir, le régime de Khartoum a largement soutenu le terrorisme international et l'islamisme salafiste. Est-ce toujours le cas aujourd'hui, alors que l'idéologue islamiste et ex-bras droit d'Al-Bachir, Hassan Al-Tourabi, est tombé en disgrâce il y a déjà quelques années ?

A. A. N. - N'oubliez pas que Carlos s'était caché au Soudan et qu'Oussama Ben Laden en personne s'est réfugié à Khartoum en 1992-1993 et y a résidé jusqu'en 1995. Il est vrai que le chef d'Al-Qaïda était en contact étroit avec Tourabi ; mais il avait été officiellement accueilli au Soudan par le général Al-Bachir lui-même ! Aujourd'hui encore, ce dernier bénéficie des colossaux investissements que Ben Laden a réalisés dans des secteurs clés - je pense, entre autres exemples, au complexe industriel Giad, qui construit des camions. On en parle peu car le régime de Khartoum bâillonne les voix libres - n'hésitant pas, le cas échéant, à aller jusqu'à l'assassinat pour faire taire les critiques - et empêche les journalistes étrangers de faire leur travail. Le gouvernement soudanais a bien fini par expulser Oussama Ben Laden en 1995, mais cette décision était due aux pressions internationales et certainement pas à une quelconque évolution idéologique.

A. D. V. - Avez-vous toujours été laïque et anti-islamiste ?

A. A. N. - J'ai été arrêté trente-deux fois par le régime parce que je n'étais pas islamiste ! Je ne l'ai jamais été, ni de près ni de loin. Dès le début de la dictature arabo-islamiste, je me suis opposé avec énergie à Al-Bachir et à Tourabi, à l'époque unis en un duo infernal. Le SLM refuse catégoriquement que notre pays soit une base du terrorisme islamiste international.

A. D. V. - Pouvez-vous chiffrer vos effectifs ? Que représentez-vous démographiquement, politiquement et militairement ?

A. A. N. - Nous représentons les deux tiers de la population du Soudan. Illustration de notre influence : cette année, nous avons remporté les élections à l'université de Khartoum. Or, comme je viens de vous le dire, les universités sont le seul endroit du pays où les élections sont encore libres... Nous avons des bureaux partout dans le pays, aussi bien dans les camps de réfugiés du Darfour qu'à Khartoum même (où nos représentations sont clandestines, bien sûr).
Concernant le volet militaire, je vous rappelle qu'après l'accord de cessez-le-feu de N'djamena …