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AFRIQUE DU SUD: LA VOIX DE L'OPPOSITION

par Guyonne de Montjou, Journaliste

Guyonne de Montjou - Treize ans après la fin de l'apartheid, l'Afrique du Sud est-elle toujours raciste ?

Helen Zille - Oui et non. La Constitution garantit désormais l'égalité de tous devant la loi mais le discours politique réintroduit insidieusement la race dans tous les débats. L'ANC (1), tout-puissant depuis treize ans, a beau se dire anti-raciste, ses membres finissent toujours par parler « noir » ou « blanc »... En Afrique du Sud, la couleur de la peau est de nouveau l'arbitre de la réussite : les temps ont bien changé depuis Nelson Mandela ! Mandela aurait d'ailleurs dû effectuer un second mandat pour consolider une véritable égalité entre les Noirs et les Blancs. Malheureusement, il est parti trop tôt.

G. M. - Vous a-t-on souvent traitée de raciste?

H. Z. - Aujourd'hui, personne - même à l'ANC - ne me considère comme raciste. Je n'ai jamais vécu dans les quartiers du Cap réservés aux Blancs. Au contraire, j'ai passé ma vie dans des quartiers où résident une majorité de gens de couleur. Et puis tout le monde connaît mon histoire.

G. M. - Un journaliste congolais vous a appelée le « cauchemar de l'ANC ». Que pensez-vous de ce surnom ?

H. Z. - Je crois qu'il est approprié ! En ce moment, je suis certainement le cauchemar de l'ANC.

G. M. - Pourquoi ?

H. Z. - Pour une raison toute simple : parce que je suis le leader de l'opposition ! Dans une démocratie établie, il n'est en rien cauchemardesque d'avoir une opposition ; c'est même la norme. Mais l'ANC ne l'a pas encore compris : il considère toujours l'opposition comme un ennemi. Moi, en tant qu'opposante, je m'estime très légitime. Je devrais être la bienvenue dans une démocratie ! Dans le fond, l'Afrique du Sud est encore une démocratie sous-développée ; et elle le restera aussi longtemps que l'ANC verra ses adversaires comme des ennemis ou un « cauchemar ».

G. M. - L'ANC a eu beaucoup de mal à accepter sa défaite aux municipales du Cap, l'année dernière. Comment avez-vous ressenti cette animosité ?

H. Z. - Il est vrai qu'il leur a été bien compliqué d'admettre leur défaite. D'ailleurs, ils ne l'ont toujours pas acceptée ! À leurs yeux, c'est une injustice cosmique. Ils estiment que les électeurs ont fait une énorme bêtise. Ils réagissent comme si Dieu lui-même s'était trompé !
Depuis mon élection à la mairie, ils ont déjà essayé de me renverser une dizaine de fois. Ils ont tout tenté pour nous faire quitter le pouvoir, de la corruption aux menaces ! À présent, ils s'efforcent - avec beaucoup d'habileté, je dois le reconnaître - d'influencer les plus petits partis de notre coalition. C'est leur dernière idée en date. Un tel comportement n'est-il pas complètement délirant ?

G. M. - Vous sentez-vous menacée ?

H. Z. - On ne sait jamais à quoi s'attendre... En janvier dernier, ils ont failli réussir. Nous étions sur le point de fermer boutique. Mais on a tenu bon (2).

G. M. - Une ville qui n'est plus gouvernée par l'ANC reçoit-elle moins d'aides ?

H. Z. - Il ne fait aucun doute que le gouvernement provincial fait tout pour nous rendre la vie difficile. S'il y a un incendie quelque part dans un township, au lieu de nous aider en nous offrant l'un des nombreux terrains dont il dispose, il bloque l'accès à la terre. C'est bien simple : l'autorité provinciale, affiliée à l'ANC, agit comme si les institutions publiques étaient destinées à servir ses intérêts partisans !

G. M. - Quelle est l'étendue du pouvoir du gouvernement provincial ?

H. Z. - Le gouvernement provincial dirige la police ; il engage les réformes en matière d'éducation et de santé ; et il conçoit les programmes pour l'environnement. Son action rend la mise en place de nos politiques locales très compliquée...
L'Alliance démocratique (AD) est une île minuscule au milieu d'un océan ANC... À partir de notre petite mairie du Cap - la plus grande municipalité que notre parti ait conquise jusqu'à présent -, nous devons remettre sur la voie de la démocratie cet État dominé par un parti tout-puissant. Tel est notre défi.

G. M. - Quelles relations entretenez-vous avec Thabo Mbeki ? Accepterait-il de débattre avec vous, leader de l'opposition, alors que pendant sept ans il a refusé de le faire avec votre prédécesseur, Tony Leon (3) ?

H. Z. - Depuis notre première rencontre en 1989, Thabo Mbeki et moi-même avons de bons rapports personnels. Il n'en demeure pas moins que je suis très remontée contre sa politique, et il le sait. C'est pourquoi je ne suis pas certaine qu'il ait très envie de débattre avec moi !

G. M. - Que lui reprochez-vous exactement ?

H. Z. - Thabo Mbeki met l'État au service des objectifs politiques de son parti. Il nomme ses proches et ses alliés à la tête des institutions publiques et des instances de la société civile afin de garder une mainmise absolue sur ces organes. Thabo Mbeki est en train de bâtir une société clientéliste et fermée sur elle-même. Pour ma part, je me bats pour une société ouverte qui donnerait sa chance à chacun.
Bref, nous avons avec M. Mbeki de vraies divergences de fond... et cela ne fait qu'empirer.

G. M. - Vous a-t-il appelée ces deux dernières années, lorsque vous avez été élue à la mairie du Cap puis nommée à la tête de l'AD ?

H. Z. - Il m'a passé un coup de téléphone pour me féliciter d'avoir pris la tête de l'AD. En revanche, pas un mot lorsque j'ai été élue maire du Cap.

G. M. - Vous dénoncez sa politique clientéliste et affirmez même qu'il est en train de mettre en place une « présidence impériale »... Pouvez-vous illustrer votre propos ?

H. Z. - Un exemple très récent de ces agissements me vient à l'esprit. Il s'agit, à mon sens, d'un événement dramatique qui risque de plonger l'Afrique …