Entretien avec Francisco Santos par Pascal Drouhaud, spécialiste de l'Amérique latine
Pascal Drouhaud - Vous êtes vice-président de la république de Colombie depuis près de six ans. Comment le journaliste que vous étiez a-t-il été conduit à exercer de telles responsabilités ?
Francisco Santos - Si Pablo Escobar ne m'avait pas enlevé, je serais toujours journaliste à l'heure qu'il est. Après ma libération, j'ai créé une association, puis une fondation visant à aider les familles des personnes kidnappées. Je connais la douleur et l'angoisse des familles. Mon père a sans doute perdu vingt années de sa vie pendant les huit mois que j'ai passés aux mains d'Escobar. Je n'ai aucun doute sur ce point : quand une personne est enlevée, c'est sa famille qui souffre le plus. Jusqu'alors, il n'existait pas, en Colombie, d'organisation non gouvernementale se proposant de soutenir les familles dans cette épreuve. C'est pourquoi j'ai créé « Pais Libre ».
P. D. - Pourquoi Escobar vous avait-il enlevé ?
F. S. - Pour une raison toute simple : dans mes articles, publiés dans divers organes de presse, j'attaquais très durement les narco-trafiquants en général et M. Escobar en particulier. J'écrivais également, dans le journal El Tiempo, des éditoriaux très violents à l'encontre des cartels de Cali et de Medellin ; or Pablo Escobar dirigeait cette dernière organisation depuis les années 1980. À cette époque, Escobar recourait régulièrement au kidnapping : il a pris pour cibles des journalistes ainsi que des responsables politiques comme Andrès Pastrana, qui était alors candidat à la mairie de Bogota, mais aussi Maruja Pachon Villamizar (1).
Ces enlèvements sont relatés dans un livre du prix Nobel de littérature Gabriel Garcia Marquez intitulé Journal d'un enlèvement. Pablo Escobar se servait de ces enlèvements à la fois comme d'un bouclier et comme d'un moyen lui permettant de terroriser la société. Soit dit en passant, il y a beaucoup de points communs entre ces kidnappings et ceux commis par les FARC...
Une fois libéré, j'ai souhaité faire prendre conscience à mes compatriotes que ces tragédies les concernaient tous. À partir de 1996, mon association est devenue une fondation chargée d'apporter un soutien psychologique aux familles et d'organiser, dans tout le pays, des marches contre les enlèvements. Des centaines de milliers de personnes se sont alors mobilisées pour dire «Assez » à tous les preneurs d'otages, quels qu'ils soient.
En 1999, en créant le mouvement appelé « No más », nous avons poursuivi cette forme de pression populaire contre la violence et les groupes terroristes, qu'il s'agisse des FARC, de l'ELN (2) ou des paramilitaires. En 2000, les FARC ont décidé de m'assassiner. Leur plan a été découvert et j'ai dû, pour des raisons de sécurité, partir vivre à l'étranger. Je me suis installé à Madrid avec ma famille. Durant une visite en Espagne, Alvaro Uribe, alors candidat à la présidentielle de 2002, m'a rencontré. Il a considéré que mon expérience et mon combat pour la promotion des droits de l'homme correspondaient au sens qu'il voulait donner à son message politique. Il m'a proposé de devenir son colistier et j'ai accepté. Vous connaissez la suite...
P. D. - Depuis votre arrivée aux affaires en 2002, qu'avez-vous obtenu de concret ?
F. S. - La Colombie détenait alors un triste record : chaque année, près de 3 000 enlèvements étaient commis dans le pays. Eh bien, en moins de six ans, nous sommes parvenus à réduire ce chiffre effrayant de 85 % !
Bref rappel de la situation qui prévalait en 2002 : près de 60 % des 3 000 enlèvements annuels étaient le fait des guérillas - FARC et ELN -, qui entretenaient des liens étroits avec les groupes criminels de toutes les villes du pays. Ces groupes kidnappaient des gens et les remettaient aux guérilleros.
Dans les campagnes, les bandits procédaient à ce qu'on appelait des « pêches miraculeuses » : ils bloquaient les routes, arrêtaient les voitures et les autobus et obligeaient les gens qui se trouvaient à bord à les suivre. Naturellement, pour obtenir la libération de ces malheureux, les familles devaient payer une rançon. Personne n'était épargné : les pauvres comme les riches étaient enlevés. Cette situation a accéléré la création de groupes paramilitaires dans les régions où l'État n'était pas en mesure d'assurer la sécurité des citoyens. En créant ces groupes, les gens pensaient se procurer un médicament pour lutter contre la maladie... mais le remède s'est révélé finalement pire que le mal.
Après notre victoire en mai 2002, nous avons d'abord renforcé l'armée et la police. Ensuite, nous avons combattu la guérilla avec la plus grande détermination. Nous l'avons expulsée des villes et des zones où elle se croyait implantée à jamais. Savez-vous qu'en 2002 la Colombie comptait trois cents municipalités sans le moindre policier ? Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Nous pénétrons enfin dans des zones où, longtemps, l'État n'avait pas été représenté. Nous avons repris le contrôle des routes. Grâce à notre riposte, la guérilla a reculé et les enlèvements ont diminué.
P. D. - Sait-on combien de personnes sont détenues pas les FARC à l'heure actuelle ?
F. S. - Nous n'avons pas les chiffres exacts car certaines personnes ont été libérées sans que nous le sachions. Leurs familles ont voulu être discrètes et trouver un arrangement direct. D'autres otages ont, malheureusement, été assassinés. Mais pour vous donner un ordre de grandeur, je pense que la Colombie compte aujourd'hui environ un millier d'otages.
P. D. - Selon vous, combien d'entre eux sont détenus pour des raisons politiques ?
F. S. - Après les évasions de Fernando Araujo (l'actuel ministre des Affaires étrangères) en décembre 2006 et de John Franck Pinchao (3) en avril 2007 ; après, aussi, l'assassinat barbare de onze députés régionaux en juin 2007, il restait quarante-cinq otages « politiques » aux mains des FARC. Et, avec les deux libérations récentes, ils ne sont plus « que » quarante-trois.
P. D. - Quelles sont les déceptions et les succès que vous avez connus dans cette lutte depuis 2002 ?
F. S. - La diminution du nombre …
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