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KOSOVO: L'INDEPENDANCE... ET APRES

Entretien avec Hashim Thaçi, Président du Kosovo depuis 2016, par Isabelle Lasserre, chef adjointe du service Étranger du Figaro

n° 118 - Hiver 2008

Hashim Thaçi

Isabelle Lasserre - Après de longues années de lutte armée puis de combats diplomatiques, le Kosovo semble enfin, en ce début 2008, sur le point d'obtenir l'indépendance. Quels seront les grands défis de ce nouveau statut pour votre pays ?

Hashim Thaçi - L'indépendance nous offrira des possibilités uniques, exceptionnelles. Mais les attentes de la population portent en priorité sur la situation sociale et économique. Ce sera donc notre premier défi. Ces dernières années, faute d'indépendance, le Kosovo n'a pas vraiment pu se développer économiquement. Notre statut actuel ne nous permet pas d'accéder aux aides des institutions financières internationales. Quant aux investisseurs étrangers, ils hésitent à s'engager. C'est tout ce contexte d'incertitude que l'indépendance va lever. Le changement, croyez-moi, sera immense ! L'autre grand défi concerne le fonctionnement des institutions démocratiques. Voilà déjà plusieurs années que nous disposons de ces institutions, et elles fonctionnent plutôt bien : comme vous le savez, les élections parlementaires et locales se déroulent convenablement et le Parlement légifère. Il va cependant falloir encore améliorer ce système. Nous devrons particulièrement veiller à ce que toutes les communautés du Kosovo se sentent bien intégrées dans leur pays.

I. L. - Quels seront les risques de l'indépendance ?

H. T. - Le maintien du statu quo comporte bien plus de risques que l'accession à l'indépendance ! Cette dernière, j'en suis convaincu, ne nous apportera que des progrès. Elle représentera un aboutissement pour les deux millions de Kosovars qui pourront, enfin, prendre leur destin en main. J'entends parfois dire que la Serbie menace de déstabiliser la région. Mais cela n'arrivera pas. Les pays des Balkans savent bien que ce qui pourrait mettre en danger la stabilité de la zone, ce serait le rejet de notre désir d'indépendance. Et puis, ne perdez pas de vue que l'indépendance ne sera que la reconnaissance d'une situation de fait qui existe depuis déjà plus de huit ans. En tout cas, si les Serbes tentent de profiter de la nouvelle donne pour semer la pagaille, ils échoueront. La communauté internationale nous a donné des assurances en ce sens. Quant à moi, je serai le premier ministre de tous les citoyens, y compris des Serbes. Je ferai tout pour faciliter la coexistence de tous les Kosovars, indépendamment de leur ethnie.

I. L. - Craignez-vous les interférences de la Russie ?

H. T. - Au sein du Groupe de contact (1), la Russie a d'abord joué un rôle positif pendant les négociations. Puis elle est devenue un obstacle à notre indépendance. Et il est hors de question que le Kosovo soit l'otage de la Russie. Heureusement, depuis le 10 décembre (2), elle ne peut plus exercer son pouvoir de nuisance. Les institutions du Kosovo vont proclamer l'indépendance de manière unilatérale et cette indépendance sera reconnue par les États-Unis et la plupart des pays occidentaux. Moscou devra s'y habituer. J'aimerais que notre peuple se souvienne de la Russie comme d'un pays qui a reconnu, et non bloqué, son indépendance. De toute façon, avec ou sans l'accord du Kremlin, le Kosovo sera indépendant.

I. L. - Quels sont les hommes et les capitales qui vous ont le mieux compris ?

H. T. - Washington, Londres, Bruxelles, Paris et Berlin. Je placerai évidemment les États-Unis au premier rang. Le président Bush, comme avant lui le président Clinton, a compris les aspirations légitimes des Kosovars. Le médiateur de l'ONU pour le Kosovo, l'ancien président finlandais Martti Ahtisaari, a également fait un travail merveilleux. Quel dommage que les Serbes et les Russes n'aient pas voulu admettre que ses propositions étaient les plus réalistes ! Par ailleurs, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel sont de jeunes leaders brillants qui apporteront beaucoup à l'Europe. Mais, à mes yeux, le leader des leaders, c'est Tony Blair. C'est lui qui joua un rôle déterminant au moment de l'émancipation du Kosovo, en 1998-1999 (3).
Pour autant, je sais très bien que notre indépendance ne fait pas l'unanimité en Europe. Certains pays européens sont pour le moins sceptiques. Mais les dilemmes de l'Espagne, de la Grèce et de Chypre ne sont pas fondés (4). À nous de les convaincre que l'indépendance du Kosovo n'est ni une menace ni un précédent déstabilisateur!
Je reviens un instant sur la Russie : sa réaction négative ne nous a pas surpris, mais nous avons été étonnés par l'agressivité de Moscou - une agressivité d'autant moins acceptable qu'elle ne repose sur aucun véritable argument. Quoi qu'il en dise, le Kremlin se moque bien du sort des gens qui vivent au Kosovo ; en vérité, il se préoccupe exclusivement du rapport des forces sur la scène internationale.

I. L. - Diriez-vous que la communauté internationale a commis plusieurs graves erreurs au Kosovo ?

H. T. - Bien sûr ! Le fait d'avoir perpétuellement reporté l'élaboration d'un statut définitif pour le Kosovo n'a-t-il pas été une grave erreur ? De 1999 à 2006, la communauté internationale a refusé de résoudre cette question. Je lui reproche également d'avoir, dans le même temps, beaucoup trop hésité à donner plus d'autonomie aux institutions de mon pays - et cela, alors même que, dès les accords de Rambouillet (5), cette autonomie faisait l'objet d'un consensus international. Même la Serbie était d'accord ! Il s'agissait d'une étape indispensable dans notre progression vers un nouveau statut. Mais la pire erreur de la communauté internationale, c'est, bien sûr, Mitrovica (6) : avoir divisé la ville en 1999 et ne pas l'avoir réunifiée par la suite est une terrible faute stratégique.

I. L. - L'indépendance du Kosovo ne va-t-elle pas inciter d'autres entités séparatistes de la région à se détacher unilatéralement des États auxquels elles appartiennent de jure ? Je pense, en particulier à la Bosnie : la Republika Srpska (7) ne va-t-elle pas profiter de l'occasion pour s'engouffrer dans la brèche ?

H. T. - Croyez-moi : la reconnaissance internationale du Kosovo aura des effets positifs pour la stabilité de toute la région. Il ne peut y avoir de parallèle entre le Kosovo et la Republika Srpska, qui est une entité « …