Entretien avec Tassos Papadopoulos, Président de la République de Chypre depuis février 2003 par Alexandre Del Valle, essayiste et éditorialiste et Jean Catsiapis, Maître de conférences à l'Université Paris-X, spécialiste de la Grèce et de Chypre
Alexandre Del Valle et Jean Catsiapis - Monsieur le Président, à quelques jours du premier tour de l'élection présidentielle du 17 février (1), vous restez favori dans les sondages. Pensez-vous que votre popularité ait été renforcée du fait que vous avez refusé le plan Annan (2) ?
Tassos Papadopoulos - Les gens ont, à mon avis, une vision plus globale du bilan de notre gouvernement ; ils ne se limitent pas au plan Annan. En matière économique et sociale, nous avons fait du bon travail. Notre programme électoral a été réalisé à 90 %. À ma connaissance, peu de gouvernements peuvent se vanter d'aussi bons résultats. Si 10 % de nos promesses n'ont pas été tenues, c'est parce que leur mise en oeuvre ne dépendait pas exclusivement de nous. Par exemple, nous souhaitions sensibiliser la population aux dangers de la route afin de limiter le nombre d'accidents de la circulation : c'est le genre de chose que le gouvernement ne peut pas faire tout seul car, pour cela, il faut changer la mentalité des gens. Mais, dans d'autres domaines, nos performances sont excellentes.
Pour en revenir au référendum, non seulement j'étais en droit de m'exprimer sur la question mais, en tant que négociateur pour la communauté chypriote grecque, c'était même mon devoir. Je me devais de dire au peuple ce que je pensais des négociations qui avaient mené au plan Annan. Comme vous le savez, j'y étais fortement opposé. Le fait que 76 % des Chypriotes grecs aient choisi de soutenir ma position n'a aucun rapport avec ma propre personne ou mon parti. Il se trouve que mon point de vue coïncidait avec celui de la majorité des Chypriotes.
A. D. V. et J. C. - Si ce référendum avait lieu aujourd'hui, pensez-vous qu'il recueillerait à nouveau 76 % de " non " ?
T. P. - Si le plan était soumis à un référendum aujourd'hui, il serait l'objet d'un rejet encore plus massif. Cela ne signifie pas, bien entendu, que tous les partisans du " non " sont prêts à voter pour moi. S'il en était ainsi, il serait inutile de faire campagne !
A. D. V. et J. C. - Les deux principaux partis politiques de Grèce (le PASOK et la Nouvelle Démocratie) étaient favorables au plan Annan. Le peuple grec, lui, était contre - tout comme les Chypriotes grecs, qui l'ont rejeté. Comment expliquez-vous ce décalage entre la classe politique grecque et l'opinion publique ?
T. P. - Tout d'abord, il ne s'agissait pas seulement des deux partis que vous avez mentionnés. Cinq partis parlementaires avaient pris position sur le plan Annan. Ils le soutenaient tous avec plus ou moins d'intensité, à l'exception du parti communiste. Mais tous étaient d'accord pour " respecter la décision du peuple chypriote ". C'est par ces mots qu'ils avaient pris soin de conclure leur déclaration. Aussi, le lendemain du référendum, j'ai téléphoné à chacun des chefs des quatre partis, et je leur ai dit : " De votre déclaration, je ne retiens que le dernier paragraphe. " Quant à Mme Papariga, la secrétaire générale du parti communiste, qui s'était clairement rangée dans le camp des opposants, je l'en ai vivement remerciée.
Au cours de la longue histoire du problème de Chypre, il est arrivé de temps à autre aux gouvernements de nos deux pays d'exprimer des points de vue différents, mais jamais rien de grave. La Grèce n'a pas vraiment d'influence sur Chypre, notamment dans le domaine politique. Ce qui ne nous empêche pas d'entretenir d'excellentes relations. S'agissant du plan Annan, j'ai commencé à en discuter avec M. Simitis, qui était à l'époque premier ministre. Nous étions convenus d'apporter quelques changements au texte. Mais avant que le projet n'ait été finalisé, son parti a perdu les élections et il a été remplacé par M. Caramanlis. De ce fait, je n'ai jamais examiné le projet définitif avec Simitis. Je n'avais pas de divergences importantes avec M. Caramanlis. Reste que son parti s'est prononcé pour le plan et que le peuple chypriote - qui est un peuple très instruit et doté d'un sens politique particulièrement développé - a estimé qu'il était inacceptable. Il est vrai que le plan Annan compte 9 998 pages et que, à part moi, qui ai dû l'analyser dans ses moindres détails, je ne suis pas certain que beaucoup de monde l'ait lu.
A. D. V. et J. C. - MM. Georges Papandréou (3) et Costas Caramanlis ne l'avaient pas lu ?
T. P. - Je suis sûr qu'ils en connaissaient les principales dipositions. Peut-être même l'ont-ils étudié. Mais il ne suffit pas de lire un document sur le papier ; il faut voir quelles seront ses conséquences pratiques. Par exemple, il était précisé ceci : " Une partie des terres seront rendues à leurs propriétaires légitimes ; une partie de celles qui ne seront pas rendues feront l'objet d'une indemnisation. " À première vue, la proposition semble assez raisonnable, bien qu'elle reste discutable sur le plan des principes : sachant que 88 % des terres appartiennent aux Chypriotes grecs et que seuls 8 % des terres occupées seraient restituées à leurs propriétaires, vous vous rendez bien compte que les 80 % des terres restantes - des terres de valeur - donneraient lieu à une indemnisation. Le problème, c'est que, selon le plan, l'indemnité devrait être versée par la communauté dont est originaire le propriétaire des terres. Il s'agit donc d'une situation unique en son genre. Ils volent nos terres, ils ne les rendent pas, et c'est nous qui devons débourser de l'argent pour qu'elles deviennent la propriété des Chypriotes turcs ! Une autre disposition prévoit que les troupes turques - environ 43 000 hommes - seront progressivement retirées. Mais il est également prévu que 600 soldats resteront à jamais sur place, indépendamment du prétendu droit d'intervention unilatéral (4). Vous me direz que 600, c'est moins que 43 000 et qu'on peut considérer qu'il y a là un progrès. Mais le nombre importe peu. Sur la carte, la Turquie …
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