Entretien avec Ali sadreddin Bayanouni par Gilles Paris, journaliste au service étranger du Monde.
Gilles Paris - Qu'est-ce qui a changé en Syrie au cours de ces dernières années ?
Ali Sadreddin Bayanouni - La Syrie n'a pas changé fondamentalement depuis la mort de Hafez el-Assad. C'est toujours une dictature dans laquelle les services de sécurité jouent un rôle de premier plan. Comme à l'époque de Hafez, les partis d'opposition sont bâillonnés. Il y a tout de même une différence : Hafez el-Assad était un responsable expérimenté, capable de manoeuvrer pour le profit de la Syrie. Ce n'est pas le cas de son fils, qui a commis de nombreuses erreurs au cours de ces dernières années. Résultat : la Syrie est désormais très isolée. Prenez ses relations avec l'Iran. Les deux pays se sont rapprochés à l'époque de Hafez el-Assad. Mais Hafez se servait de sa proximité avec Téhéran pour faire pression sur les pays du Golfe (3) alors que, aujourd'hui, c'est au contraire l'Iran qui manipule la Syrie. Sous Bachar, notre pays est devenu une simple carte dans le jeu de Téhéran ! Autrefois, les avantages de cette relation étaient entièrement syriens ; à présent, ils sont iraniens.
G. P. - Que reste-t-il des liens politiques avec l'Arabie saoudite ?
A. B. - En règle générale, les pays arabes ont toujours essayé d'entretenir de bonnes relations avec la Syrie ; mais compte tenu des erreurs de Bachar el-Assad, de ses déclarations intempestives et de ses tentatives visant à interférer dans les affaires intérieures libanaises, irakiennes ou jordaniennes, tous ont pris leurs distances. Après l'assassinat de Rafic Hariri, en février 2005, les Saoudiens ont fait preuve de patience en espérant que le régime prendrait conscience de l'impasse dans laquelle il se fourvoyait (4). Ils ont donné une chance à Bachar el-Assad, mais il n'a pas su la saisir.
G. P. - Entre 1979 et 1982, le régime a porté des coups sévères à votre mouvement. Pourtant, un peu plus tard, des contacts ont été noués entre les Frères et les dirigeants de Damas. Quelle en a été la substance ?
A. B. - Je viens de vous dire que Hafez el-Assad avait une grande intelligence politique ; eh bien, les contacts qu'il a pu avoir avec les Frères musulmans en 1980, parallèlement à la répression, en 1984 et en 1987 (les derniers auxquels j'ai participé), en sont la preuve. Ces contacts n'ont pas abouti parce que, fondamentalement, le régime ne voulait pas changer. Mais, au moins, c'était un début. Au moment de la succession, nous avons fait passer un message indiquant que nous étions prêts à discuter avec le nouveau chef de l'État, même si nous avions des réserves sur les modalités de la succession et si nous savions bien qu'un changement de personnes ne pouvait suffire en lui-même. Nous avons fait dire à Bachar que nous comprenions que des réformes ne pouvaient être que graduelles et que, dans un premier temps, nous pourrions nous contenter de signaux. Ce message lui est parvenu, mais il a fait la sourde oreille. Depuis, il n'y a eu aucun contact entre le régime et les Frères musulmans syriens, ni direct ni indirect.
G. P. - Selon vous, Bachar est-il vraiment aux commandes de l'État ?
A. B. - C'est un système familial. Au sommet du pouvoir, on retrouve, outre Bachar, son frère Maher et son beau-frère Assef Chaukat. Le premier contrôle l'armée, le second les services de sécurité. Il faut également compter avec Bouchra, sa soeur (5), et avec Rami Makhlouf, son cousin, qui s'occupe de l'économie. Il s'agit donc d'un leadership collectif. Entre eux, il ne peut y avoir de conflits ni de divergences de vue. Par exemple, Bachar n'a pas les moyens de livrer Maher et Assef au tribunal international créé par les Nations unies pour juger les auteurs présumés de l'assassinat de Rafic Hariri (6).
G. P. - Où en est la population syrienne, selon vous ?
A. B. - Voilà près de quarante ans que le peuple syrien est absent de la scène politique. Il a d'autres préoccupations au quotidien, surtout d'ordre économique. Et puis, il y a la pression sécuritaire. On estime à environ 20 000 le nombre de victimes de la répression des années 1970 et 1980, auxquelles s'ajoutent les milliers de personnes qui ont été forcées de s'exiler. À notre avis, les Syriens sont opposés au régime, mais ils n'ont aucun moyen d'exprimer cette opposition.
G. P. - Que reste-t-il de votre mouvement, sur place ?
A. B. - Il n'existe plus d'organisation en tant que telle depuis la loi 49 de 1980, qui punit de mort l'appartenance aux Frères musulmans. Des milliers de Frères emprisonnés ont été libérés, faute de charges suffisantes, mais nous ne pouvons pas avoir de contacts organisationnels avec eux. En revanche, il existe dans la société syrienne un profond courant islamiste modéré, sans traduction politique, avec lequel nous avons des contacts directs ou indirects.
G. P. - Combien de vos militants sont toujours emprisonnés ?
A. B. - Environ huit mille Frères ont été libérés et vingt mille ont disparu, parmi lesquels ceux qui ont été tués dans les massacres de la prison de Tadmor (7). Il n'existe aucune information officielle à leur sujet. Il arrive cependant que nous ayons la surprise de voir revenir des personnes que nous estimions mortes. La libération des prisonniers était notre demande la plus importante lors des discussions que nous avons eues avec le régime - ainsi que l'abrogation de la loi 49, le retour sans condition des exilés et la garantie de la liberté d'expression politique. Ces demandes sont toujours valables. Lorsque nous avons fait passer des messages à Bachar el-Assad, nous lui avons demandé de prendre en priorité des mesures d'ordre humanitaire, comme préalable aux questions purement politiques. Comme je vous l'ai dit, nous n'avons pas obtenu de réponse...
G. P. - Entre-temps, le régime s'est également tourné vers le courant islamiste modéré que vous avez mentionné, en soutenant discrètement le député Mohammad Al-Habach, responsable d'un Centre d'études islamiques, et en créant les instituts el-Assad de mémorisation …
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