Entretien avec Andris Piebalgs par Caroline Morange
Caroline Morange - Monsieur le Commissaire, peut-on parler d'une « politique énergétique européenne » alors que chaque pays membre possède sa propre politique énergétique et que celles-ci se concurrencent parfois, voire contredisent les orientations de l'UE, comme on a pu le constater dans le projet South Stream (1) ?
Andris Piebalgs - La réponse est oui. En janvier 2007, la Commission européenne a défini un certain nombre de grandes lignes dans ce domaine. Deux mois plus tard, lors d'un Conseil européen, ces lignes directrices ont été adoptées par les États membres. Cette politique européenne de l'énergie définit des objectifs stratégiques ambitieux : d'ici à 2020, il faudra diminuer les émissions de gaz à effet de serre de 20 % ; atteindre une part d'énergie d'origine renouvelable de 20 % ; et améliorer l'efficacité énergétique également de 20 %, dans le cadre de marchés européens de l'énergie ouverts, interdépendants et concurrentiels. Les États membres se sont aussi mis d'accord sur l'importance de parler d'une voix commune sur la scène internationale, ce qui est significatif. Pour donner corps à ces objectifs, le Conseil a adopté un plan d'action détaillé.
Ainsi, s'il est vrai - et normal - que les États membres ont chacun leur propre politique énergétique, il est cependant trompeur de croire que ces politiques seraient unilatérales. Les États savent que travailler ensemble au sein de l'UE est le meilleur moyen d'obtenir une énergie à un prix abordable et de réduire l'impact écologique de sa consommation.
Quant au gazoduc South Stream que vous venez de mentionner, il augmentera la diversité des routes d'approvisionnement vers l'Europe et contribuera, de ce fait, à la sécurité de nos livraisons. En attendant, South Stream n'est qu'une « ligne sur une carte », même si Gazprom et ENI ont annoncé sa construction ; pour l'heure, aucun travail détaillé n'a été réalisé, que ce soit sur un plan environnemental, d'ingénierie ou de planning. Par comparaison, le gazoduc Nabucco, qui permettra lui aussi à l'UE de diversifier ses sources d'énergie, se trouve à un stade plus avancé. Un coordinateur européen pour ce projet a déjà été nommé.
C. M. - L'Europe est-elle prête à réagir à une éventuelle crise énergétique liée, par exemple, à une escalade des tensions entre l'Iran et les États-Unis ?
A. P. - L'UE travaille très dur pour trouver une solution diplomatique aux tensions avec l'Iran afin d'éviter une crise de ce genre. C'est l'une des priorités essentielles de notre politique. La Commission européenne et les États membres ont très clairement conscience qu'il faut tout faire pour éviter l'escalade, car les enjeux sont immenses.
C. M. - J'insiste : au-delà de la question iranienne, si une crise énergétique se produit, comment l'Europe minimisera-t-elle ses effets sur son économie ?
A. P. - Un blocage semblable à celui provoqué par les événements survenus au Nigeria au cours de ces deux dernières années (2) peut effectivement se reproduire. Eh bien, sachez que nous sommes suffisamment équipés, en particulier au travers de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), pour survivre pendant un an sur nos seules réserves.
Par ailleurs, pendant cette éventuelle année de crise et après, les pays producteurs pourraient faire croître leur production. Nous avons de bonnes relations avec ces pays et avec l'Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP) en général. Aujourd'hui, leurs capacités de production ne sont pas poussées à leur maximum. Ils pourraient augmenter leur production de 3,8 millions de barils par jour, ce qui est une marge très confortable (3) : cette marge se situait, par le passé, à 1 ou 1,5 million de barils par jour.
C. M. - Pourquoi cette capacité de production inutilisée, à l'heure où les prix du pétrole sont si élevés ?
A. P. - L'objectif des pays de l'OPEP est de lutter contre la volatilité des prix, qui est aussi notre pire ennemi. Aujourd'hui, les principaux pays producteurs ont la capacité de produire plus si nécessaire. Et ils ont la volonté de le faire (4). C'est pourquoi l'UE et l'AIE doivent maintenir un contact permanent avec l'OPEP. La réaction aux crises ne doit pas se produire uniquement du côté de la demande, mais aussi du côté de l'offre. Pour résumer : nous sommes prêts à répondre aux soubresauts du marché, d'autant que nous avons beaucoup appris de la crise irakienne.
Cela dit, je ne crois pas qu'une grave crise énergétique se produira à l'avenir. Le principal défi auquel nous sommes confrontés est l'énorme croissance de la demande en énergie dans les pays en développement. C'est une tendance lourde de l'économie mondiale.
C. M. - L'Europe risque-t-elle de se trouver engagée dans des « guerres énergétiques » au cours des décennies qui viennent ?
A. P. - Je suis d'une génération qui n'a pas connu les guerres, qui ne les a vues qu'au cinéma... Et j'espère que nous saurons aussi les éviter à l'avenir. Pour ce faire, il faut trouver des alternatives énergétiques. La tendance actuelle est à la croissance de la consommation mondiale d'énergie et à la baisse des réserves fossiles (5), ce qui est effectivement porteur d'un risque de conflit. Mais le développement de sources d'énergie renouvelable et de nouvelles technologies diminuera les risques de conflits liés aux ressources. Les options sont nombreuses : énergie des vagues, du vent, du soleil, de la biomasse... Si ces solutions deviennent suffisamment performantes et peuvent nous fournir de l'énergie au moment où il y aura moins de pétrole, il n'y aura pas de guerre pour les ressources énergétiques.
C. M. - L'Otan devrait-elle assurer la sécurité énergétique de ses membres ?
A. P. - L'énergie est un domaine dans lequel la coopération internationale est absolument essentielle. Pour de nombreux pays, qu'ils soient importateurs ou exportateurs de produits énergétiques, sécurité énergétique et sécurité nationale sont des notions très proches. Les menaces pesant sur la sécurité énergétique - le changement climatique, les incertitudes géopolitiques ou encore la volatilité des marchés - ont en commun d'être transfrontalières. Dans ce contexte, des coalitions régionales et internationales s'imposent. Les pays du G8 se …
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