Entretien avec Evo Morales, Président de la République de Bolivie depuis le 22 janvier 2006. par Aurelio Garcia
Aurelio García - Il y a deux ans, votre accession au pouvoir a suscité une immense attente populaire. Quelles promesses avez-vous tenues pour l'instant ?
Evo Morales - Durant ces deux années, nous avons respecté point par point toutes les promesses que nous avions faites pendant la campagne électorale. Aucun autre gouvernement, dans toute l'histoire de la Bolivie, ne s'est montré aussi respectueux de ses engagements.
Nous avons nationalisé les hydrocarbures, ce qui nous a permis d'améliorer significativement le niveau de vie de la population - sans pour autant faire fuir les investissements étrangers, malgré ce que nos adversaires annonçaient.
Grâce à cette nationalisation, nous avons pu financer un important programme de lutte contre la déscolarisation. De la même manière, nous avons créé une retraite pour les personnes de plus de soixante ans. Aux yeux d'un Européen, ces progrès peuvent paraître peu importants. En Europe, vous avez la retraite, la sécurité sociale, des aides pour les études... mais ici, en Bolivie, rien de tout cela n'avait existé avant nous ! Nous avons réalisé la réforme agraire ; nous avons lancé un processus de redistribution de la terre, malgré l'opposition violente de quelques grands propriétaires terriens et de spéculateurs qui possèdent des latifundios de 50 000 hectares ou plus, alors que de nombreux paysans vivent sur des minifundios de moins d'un demi-hectare. Nous avons fait de grandes avancées en termes de santé, de logement, de progrès social et économique. À vrai dire, il faudrait beaucoup de temps pour les énumérer toutes !
A. G. - Tout de même, quelle est, à vos yeux, votre plus grande réussite durant ces deux années ?
E. M. - Sans doute d'avoir récupéré nos ressources naturelles, en particulier les hydrocarbures, grâce à quoi l'économie nationale a obtenu un solde positif pour la première fois en plus de quarante ans. Cette réforme s'est également traduite par un accroissement historique de nos exportations et par une augmentation de nos réserves, qui sont passées de un milliard de dollars - niveau auquel elles stagnaient dans les dernières décennies - à six milliards de dollars en 2007.
Pourtant, je crois que notre plus grande satisfaction, celle qui va rester dans la mémoire du peuple, c'est le fait que nous allons en finir avec l'analphabétisme. Nous serons seulement le troisième pays latino-américain, après Cuba et le Venezuela, à être libéré de l'analphabétisme. Vous mesurez la dimension de l'exploit !
A. G. - Si votre mandat est un tel succès, comment expliquer la crise qui sévit actuellement ? On parle de pénurie, d'une hausse des prix alarmante...
E. M. - La transformation révolutionnaire et démocratique que nous menons à bien génère nécessairement des réactions de la part des élites qui ont détenu le pouvoir économique et politique depuis la naissance de la Bolivie - et même avant.
L'inflation qui existe aujourd'hui dans notre pays n'est pas un phénomène local, spécifiquement bolivien. Sur le continent entier, on assiste à un processus similaire, qui s'explique par le fait que les revenus des exportations sont plus importants et que l'argent circule davantage. La croissance, vous le voyez, s'accompagne toujours de l'inflation. Et il ne faut pas oublier la chute dramatique du dollar. Il faut y ajouter l'augmentation des sommes que les migrants envoient à leurs familles restées en Bolivie, ainsi que les fonds que le gouvernement débloque pour améliorer la situation des enfants et des personnes âgées de plus de soixante ans. De plus, les graves effets du changement climatique - je pense avant tout aux inondations qui ont frappé le département du Béni -, conjugués à la demande croissante en produits alimentaires au niveau mondial, entraînent également une hausse des prix.
Mais ces facteurs - présents dans toute la région - qui contribuent à l'inflation se voient aggravés par la spéculation et par le boycott auquel certains grands patrons boliviens soumettent mon gouvernement. Un exemple : la Bolivie est un pays producteur de soja. C'est notre principal produit d'exportation agricole. Cependant, alors que les prix à l'exportation n'augmentent pas, le prix de l'huile de soja pour la consommation intérieure a presque doublé ! Il n'est pas juste que les patrons des entreprises d'huile cherchent à faire des bénéfices en spéculant sur les besoins du peuple. C'est pour cette raison que nous avons interdit temporairement l'exportation d'huile fine de soja : nous maintiendrons cette interdiction jusqu'à ce qu'ils baissent les prix au niveau du marché intérieur. Il s'est produit un peu la même chose avec la farine : ils ont fait monter son prix ; nous avons donc décidé d'en importer directement. Et, à ce moment-là, les prix ont recommencé à baisser.
A. G. - Qui s'oppose à votre gouvernement ?
E. M. - Ceux qui ont toujours profité de l'État. Les familles des politiciens qui se sont relayés dans les ministères et les administrations ; les élites qui se sont enrichies avec la privatisation de nos ressources naturelles et de nos entreprises nationales à différents moments de l'Histoire ; les grands propriétaires terriens et les spéculateurs fonciers ; et, plus généralement, tous les entrepreneurs qui se sont « nourris sur la bête ». Ce sont ces groupes qui refusent les transformations démocratiques et exacerbent délibérément le régionalisme et le racisme contre les indigènes ; et cela, afin de provoquer une crise qui - espèrent-ils - fera tomber le premier gouvernement indigène de l'histoire de la Bolivie.
A. G. - Ces mêmes groupes réclament aujourd'hui l'autonomie pour leurs régions...
E. M. - Effectivement. En réalité, ils ne demandent pas l'autonomie, mais la séparation, la scission d'une partie du pays, pour pouvoir reprendre facilement le contrôle des richesses.
Je veux être très clair sur ce sujet : nous sommes en faveur de l'autonomie. Nous avons convoqué une Assemblée constituante qui a rédigé une nouvelle Constitution. Or cette Constitution autorise divers degrés d'autonomie pour les départements, pour les régions et pour les peuples indigènes.
Mais nos opposants n'ont pas reconnu le travail de l'Assemblée - qui a pourtant été démocratiquement élue. Ils ont rédigé, en quarante-huit …
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