Les Grands de ce monde s'expriment dans

COREE DU SUD: UN NOUVEAU DEPART

Entretien avec Lee Myung-Bak par Thérèse Delpech, Chercheur associé au CERI.

n° 119 - Printemps 2008

Thérèse Delpech - Monsieur le Président, il n'est pas certain que l'opinion européenne ait pris la mesure du changement politique qu'a représenté votre élection à la tête de la Corée du Sud. Pourriez-vous expliquer en quoi votre politique étrangère sera différente de celle de votre prédécesseur ? Lee Myung-Bak - Pour le dire en peu de mots, je souhaiterais que la politique étrangère de mon pays soit tendue vers la création d'une meilleure prise en compte des problèmes globaux, d'une « Corée globale » qui puisse participer de manière dynamique à la marche du monde - et cela, en développant une vision qui lui soit propre et en se dotant de moyens politiques adaptés. Autrement dit, je voudrais mettre l'accent non seulement sur la nécessité d'une péninsule coréenne plus sûre, et d'une Asie plus prospère - cela va de soi - mais aussi d'un ordre mondial plus juste. T. D. - Comment comptez-vous atteindre des objectifs aussi ambitieux ? L. M.-B. - J'ai tracé sept priorités : 1°) établir un « nouveau système de paix » dans la péninsule coréenne, ce qui passe par le règlement du problème nucléaire nord-coréen. 2°) mettre en place une politique étrangère pragmatique fondée sur l'intérêt national, non sur l'idéologie, et qui fasse l'objet d'un large consensus au sein de la population. 3°) resserrer nos liens avec les États-Unis. L'alliance américano-coréenne repose sur une amitié ancienne, des intérêts communs et des valeurs partagées. Elle contribue puissamment à la paix et à la prospérité dans la péninsule coréenne et dans l'ensemble du continent asiatique. 4°) définir une « diplomatie asiatique » visant à accroître la prospérité de la région. Cette nouvelle politique nous conduira à nous rapprocher du Japon, de la Chine, de la Russie et de l'Inde et à explorer de nouvelles formes de coopération avec l'ASEAN, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les États d'Asie centrale. 5°) apporter une contribution plus significative à la solution des problèmes globaux que connaît l'humanité en ce début de XXIe siècle, qu'il s'agisse du climat, de la santé ou du développement. 6°) promouvoir une « diplomatie de l'énergie », indispensable pour accompagner notre essor économique. 7°) et, enfin, favoriser une culture coréenne plus dynamique en collaboration avec les autres pays asiatiques. Bref, je crois que l'heure est venue, pour mon pays, de contribuer à la création d'un « réseau international commun plus ouvert ». T. D. - La Corée du Sud est souvent considérée comme une puissance essentiellement régionale. Vous affirmez donc clairement une volonté de plus grande implication dans le système mondial? L. M.-B. - La Corée du Sud a connu, au cours du dernier demi-siècle, une croissance sans précédent qui lui a permis de se hisser au tout premier rang mondial. Et cela dans un contexte de sécurité et des conditions économiques défavorables. Aujourd'hui, elle est la troisième économie d'Asie et la douzième à l'échelle planétaire. Nous sommes conscients que, sans l'aide de la communauté internationale, notre développement n'aurait pas été aussi rapide. Et à l'évidence, les problèmes auxquels un pays comme le nôtre est confronté, comme le réchauffement climatique, ne peuvent trouver que des solutions globales. C'est dans cette ligne que je souhaite inscrire mon action. Pour commencer, je vais augmenter progressivement le budget de l'aide au développement. Je vais également créer une version coréenne des Peace Corps afin que nos jeunes puissent travailler aux quatre coins du globe pour soulager les souffrances des pauvres et des malades. T. D. - Quel type de relations souhaitez-vous établir avec l'Europe et, en particulier, avec la France ? L. M.-B. - J'ai l'intention d'approfondir les liens traditionnels qui unissent la Corée à l'Europe. Pour moi, l'Europe n'est pas une notion abstraite. Avant d'entrer en politique, j'ai sillonné en tous sens le continent européen et j'ai eu l'occasion d'en explorer toutes les dimensions : politique, économique, sociale, culturelle et technologique. Dès que mon parti m'a désigné comme candidat à la présidentielle, j'ai défini une « plate-forme de coopération Corée-Europe » en cinq points. Permettez-moi de les rappeler pour vos lecteurs : 1°) renforcer nos liens économiques avec l'Union européenne. À cet égard, je me félicite de la récente signature d'un accord de libre-échange Corée-UE (1). 2°) créer un environnement propice aux affaires afin que les entreprises européennes puissent investir librement en Corée. 3°) accroître la coopération avec l'Europe en matière d'environnement, de lutte contre le terrorisme et de sécurité énergétique. 4°) mettre en place des programmes d'échanges culturels et d'éducation fondés sur les valeurs de démocratie et de paix qui nous sont communes. 5°) travailler en étroite collaboration avec nos partenaires européens pour parvenir à la dénucléarisation de la Corée du Nord. Quant à la relation franco-coréenne, elle constitue un élément essentiel de notre politique européenne. La France n'est pas seulement un membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU ; elle joue aussi un rôle important au sein de l'Otan et de l'OSCE. Je suis certain qu'en cultivant nos liens avec la France nous pouvons contribuer à accroître la sécurité en Asie. T. D. - Croyez-vous à ce qu'on appelle les « valeurs asiatiques » ? Comment les définiriez-vous ? L. M.-B. - L'Europe et l'Asie sont ancrées dans un socle de traditions historiques et culturelles très différentes, ne serait-ce que sur le plan des moeurs politiques, du processus d'industrialisation ou des conditions sociales. Au sein même de l'Asie et de l'Europe, tous les pays ne partagent pas la même conception de la démocratie et des droits de l'homme. Mais je ne cherche pas à relativiser l'importance de ces valeurs : j'y ai été attaché toute ma vie, et je continue à l'être. Certains se sont fait les apôtres de « valeurs asiatiques » qui, selon eux, ne s'épanouiraient que dans un contexte particulier : sur fond de culture confucéenne et dans le cadre d'un système politique centralisé et autoritaire. Je ne suis pas de cet avis. La Corée en est un bon exemple : elle est la démocratie la plus vivante d'Asie. Elle a démontré que, loin de …