Entretien avec Karl Rove par Sophie de Bellemaniere
Sophie de Bellemanière - M. Rove, que répondez-vous à ceux qui affirment que George W. Bush est inculte, voire stupide ? Qu'avez-vous envie de dire à tous les dénigreurs qui, pendant des années, vous ont surnommé « Bush's brain » en sous-entendant que le président, lui, n'avait pas de cerveau ?
Karl Rove - Je voudrais leur dire que George W. Bush est un intellectuel ! Preuve en sont ses diplômes de Yale et de Harvard. Je ne vois pas comment, en étant idiot, il aurait pu obtenir un « Bachelor of Arts » en histoire américaine de la prestigieuse université de Yale et un master en Business Administration de Harvard ! Je suis toujours surpris de voir que si peu de gens sont au courant de la réalité et que certains se permettent de le présenter comme un ignare.
S. B. - Pourquoi cet aspect de la personnalité de George W. Bush est-il à ce point méconnu ?
K. R. - Je crois qu'il ne déteste pas être sous-estimé. Et s'il se montre si discret à propos des prestigieux diplômes qu'il a obtenus, c'est tout simplement parce qu'il adore être considéré comme un Texan moyen ! Mais même en tenant compte de cette exagération de l'aspect « populaire » de sa personnalité, je n'arrive pas à comprendre comment on peut penser qu'il serait idiot. Au contraire, il est supérieurement intelligent ! Je le connais maintenant depuis trente-cinq ans et je suis toujours aussi impressionné par sa mémoire et par sa culture. Je peux vous dire que j'ai intérêt à me rappeler tout ce que je dis dans nos conversations, car il se souvient de tout. Son esprit enregistre et analyse en permanence une quantité d'informations phénoménale. Un jour, en 1997, alors que nous étions dans un tout petit village texan, George W. Bush, qui venait d'être élu gouverneur, a reconnu un type qu'il avait croisé vingt ans auparavant... et se rappelait même qu'il avait trois enfants ! Tout le monde était sidéré.
S. B. - Sauf erreur, la lecture fait même l'objet d'une compétition entre le président et vous...
K. R. - Effectivement, nous faisons depuis deux ans un concours de lecture. J'ai gagné l'année dernière : j'ai lu 110 livres et lui 94... Et je mène encore cette année ! Ce qui n'est pas facile car George W. Bush est un grand liseur. Il est vraiment étonnant de voir qu'un homme dont l'emploi du temps est aussi chargé arrive à lire deux livres par semaine en moyenne. Encore une fois, comment peut-on le prendre pour un crétin ?
S. B. - Quelle est donc la vraie personnalité de George W. Bush ?
K. R. - Sa personnalité comporte deux aspects complémentaires, ce qui présente de nombreux avantages. Primo, je vous l'ai dit, le président a un cerveau bien organisé ; mais, secundo, contrairement à l'immense majorité des intellectuels de la côte Est, il a su rester très accessible. La plupart de ses camarades de Yale et de Harvard seraient tout simplement incapables de communiquer avec l'Américain ordinaire comme il le fait. Sa facilité à s'adresser à ses compatriotes découle de l'éducation qu'il a reçue et de l'État où il a grandi. Contrairement à tous ces snobs de la côte Est, George W. Bush est capable de mettre son orgueil en sourdine. C'est ce qui explique que certains - et, en premier lieu, les intellectuels de l'Upper East Side (2) - aient tendance à le sous-estimer. Il y a d'ailleurs un livre qui s'intitule Misunderestimated (3).
S. B. - Est-ce là le résultat d'une stratégie ?
K. R. - Ne vous y trompez pas : George W. Bush est conforme à cette image réellement populaire. Le « Texan moyen » est une composante naturelle de sa personnalité.
S. B. - Comment vous êtes-vous rencontrés pour la première fois ?
K. R. - Je l'ai rencontré le mercredi précédant Thanksgiving 1973 au Republican National Committee (4), au premier étage de l'immeuble où nous nous trouvons en ce moment. Il avait laissé les clés de sa voiture à son père, George Bush senior, qui travaillait, comme moi, au RNC ; et ce dernier m'avait chargé de les lui remettre.
S. B. - Quelle fut votre première impression ?
K. R. - Il arrivait de la Business School de Harvard et portait une veste de l'armée de l'air, un Levi's et des bottes de cow-boy. Je lui ai donné les clés de sa voiture - qui, soit dit en passant, était la plus laide que l'homme ait jamais fabriquée : une Gremlin violette avec intérieur jeans ! Le comble du mauvais goût !
S. B. - Avez-vous eu le coup de foudre ?
K. R. - Oh oui ! J'ai immédiatement été séduit par son immense charisme. Cette première impression a été très forte et m'a conduit à vouloir travailler avec lui par la suite. Je voulais vraiment savoir ce qui se cachait derrière cette allure de cow-boy. Et je n'ai pas été déçu...
S. B. - Vous qui le connaissez si bien, comment expliquez-vous le fait qu'il ait commencé par être isolationniste avant de se transformer en apôtre de l'interventionnisme après le 11 Septembre ?
K. R. - Il est vrai qu'il doutait du bien-fondé de l'emploi de l'armée américaine pour des missions de nation building (5), comme en Bosnie par exemple. Il estimait que de telles missions relevaient plutôt des prérogatives de l'Otan et des Nations unies. Comment penser le contraire quand on a vu les troupes américaines s'enliser dans les Balkans (6) pendant plus de dix ans, alors qu'elles auraient dû rentrer au bout d'un an ? Selon lui, la principale fonction de notre armée consistait - et je crois qu'il n'a pas changé d'avis sur ce point - à stabiliser la situation sur le terrain pour ensuite laisser les institutions locales et internationales s'occuper du nation building. Hélas, le conflit irakien nous a appris que l'armée américaine devrait désormais se charger non seulement de la stabilisation, mais aussi …
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