Entretien avec Shimon Peres, Ancien premier ministre d’Israël. par Christiane Vulvert
Christiane Vulvert - Monsieur le Président, après sept guerres et deux Intifadas, vous êtes de ceux qui continuent à croire à l'imminence de la paix. Pourtant, jamais la menace iranienne n'a été aussi forte...
Shimon Pérès - L'Iran est un État terroriste qui cherche à imposer à ses voisins arabes une colonisation religieuse. Des pays comme l'Égypte, la Jordanie ou la Syrie en sont parfaitement conscients.
Face à une telle menace, la parade ne peut être qu'économique : cent mille emplois valent mieux que cent mille fusils. Avec l'Égypte, notamment, nous essayons de renforcer l'économie de la région afin d'enrayer le fanatisme. Mais nous devons aussi convaincre le monde entier de ce danger. Je sais que, sur ce sujet, Israël et la France sont sur la même longueur d'onde. Et j'ajoute que les dirigeants israéliens savent gré à Paris de sa fermeté en la matière.
C. V. - Le vote de nouvelles sanctions par le Conseil de sécurité de l'ONU pour contraindre Téhéran à renoncer à son programme nucléaire constitue-t-il une preuve de fermeté ?
S. P. - Par le passé, les sanctions économiques vis-à-vis de la Corée du Nord ou de l'Afrique du Sud ont montré leur efficacité. C'est un problème qui concerne le monde entier. Israël n'est pas le seul pays qui soit à portée des missiles iraniens. Et il suffirait qu'une poignée de terroristes s'équipe d'engins nucléaires pour que le destin de la planète bascule. Cette menace est donc du ressort de la communauté internationale dans son ensemble.
C. V. - Dans ce contexte, comment imaginez-vous le nouveau Proche-Orient ?
S. P. - Désormais, je vous l'ai dit, nous devons raisonner en termes économiques. C'est par la diffusion des hautes technologies que nous parviendrons, à terme, à améliorer le niveau d'éducation général, à diminuer nos efforts de défense et à ouvrir nos pays les uns aux autres.
Il fut un temps où nous pensions que l'agriculture n'était que pluie et larmes : la pluie du paradis et les larmes du fermier. Aujourd'hui, nous savons que ce n'est pas si simple : il ne s'agit pas uniquement de cultiver la terre ; il faut aussi sauvegarder l'environnement, car personne ne peut vivre sur une terre couverte de béton.
Ici, en Israël, nous avons appris qu'avec moins de terre nous pouvions avoir plus de fruits et de légumes. Les vingt-cinq premières années, nous avons multiplié la superficie agricole par dix-sept, et la production dans les mêmes proportions. Mais nous ne voulons pas seulement des produits frais ; nous voulons des paysages verts, une mer bleue et des rivières propres. Nous devons aller plus loin. Si vous me permettez une image un peu poétique, ce que nous devons faire au Proche-Orient, c'est retirer le sel de la mer, le désert de la terre et la violence des gens. Tout cela demande un réel investissement intellectuel et des nerfs solides.
C. V. - Pour le moment, les résultats se font attendre...
S. P. - Vous savez pourquoi ? Parce que les périls courent à la vitesse du cheval au galop et que les succès cheminent à l'allure du chameau. Entre-temps, il y a un désert à parcourir...
Fernand Braudel disait que les percées technologiques sont plus importantes que les événements politiques ; que c'est, par exemple, l'apparition des bateaux à voiles qui a permis aux populations méditerranéennes d'entrer en contact les unes avec les autres. Je souscris complètement à cette vision des choses. Lorsque je suis venu à Paris, j'ai demandé l'appui de la France - et de l'Europe - à mon plan de développement et de pacification des pays de la Méditerranée. Et je dois dire que le projet d'Union méditerranéenne cher à Nicolas Sarkozy va tout à fait dans le sens de nos intérêts. Peut-être qu'enfin les chameaux vont accélérer leur course...
Un pays est grand non par sa taille mais par son savoir scientifique. Si nous parvenons à créer la vallée de la Paix entre Israël, la Palestine et la Jordanie (1), à transformer 400 km de défiance et de haine en 400 km de bonheur et de prospérité, nous aurons gagné cette bataille.
De la même manière, il est urgent de construire un canal entre la mer Rouge et la mer Morte. Ainsi naîtra, pour le plus grand bien des populations, une région attractive, agricole et touristique, à la place d'un désert oublié depuis la création du monde. L'Europe s'est constituée à partir du charbon et de l'acier, après les deux guerres mondiales. Le Proche-Orient, lui, doit s'exprimer à travers son potentiel agricole, touristique et scientifique. Ajoutons à cela le grand trésor que représentent le soleil et les énergies alternatives. Le soleil ne pollue pas comme le pétrole ; le soleil est démocratique ; tout le monde peut en profiter et il ne sert pas à financer le terrorisme !
C. V. - Vous avez indiqué récemment que le principal obstacle au processus de paix était le dogmatisme. Comment vous-même avez-vous échappé à ce travers ?
S. P. - Durant mes études à Ben Shemen (2), je n'étais pas influencé par le Manifeste communiste comme la plupart des autres étudiants. Ce qui m'influençait, c'était plutôt la Bible, même si en accostant à Jaffa j'étais devenu complètement laïque. Je n'avais besoin ni de Lénine, ni de Staline, ni de Marx, et je n'en ai jamais eu besoin par la suite. Selon moi, nous avons deux grands prophètes. Ce sont mes références, mes anti-dogmes. Le plus grand des deux est Moïse. Il nous a donné dix commandements et trois cent quarante souhaits. Enlevez les dix commandements aux civilisations occidentales et vous n'avez plus de civilisations ! Quant aux trois cent quarante souhaits, ils sont le socle des valeurs universelles : le respect des droits de l'homme et la fraternité. Moïse nous parle de paix et d'un monde meilleur. L'autre prophète est Amos. Amos fut, en quelque sorte, le premier socialiste. C'est lui qui fustigeait ceux « qui vendent le pauvre pour une paire de sandales ». Tout est dit …
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