Entretien avec Boyko Borissov par Isabelle Lasserre, chef adjointe du service Étranger du Figaro et Sonja Mink, Sociologue, spécialiste des pays d'Europe centrale et orientale.
Isabelle Lasserre et Sonja Mink - Ancien pompier, champion de karaté, ex-garde du corps, vous êtes devenu maire de Sofia et leader du parti politique le plus populaire de Bulgarie. Votre parcours est impressionnant. Quel est votre secret ?
Boyko Borissov - Il n'y a qu'une seule explication, c'est le travail. Mais il faut aussi savoir allier discipline et liberté d'esprit. N'oubliez pas que le karaté est un art. La politique aussi. Lorsque j'étais entraîneur de l'équipe nationale de karaté, je préparais en parallèle un doctorat en psychologie. Ce sont des activités qui se complètent et ne s'excluent pas. Qui demandent de la concentration et des connaissances. Pompier, c'est pareil. Connaissez-vous un autre métier qui exige davantage d'investissement humain ? Qui mette autant les hommes à l'épreuve dans des moments aussi difficiles ? Il faut savoir travailler en équipe, prendre des décisions importantes en un dixième de seconde. Eh bien, c'est la même chose en politique. Apparemment, ces formations atypiques m'ont plutôt réussi puisque cela fait sept ans que je suis l'homme le plus populaire de Bulgarie...
I. L. et S.M. - Vous avez successivement servi l'ancien leader du parti communiste, Teodor Jivkov, puis Siméon II. Comment expliquez-vous ce grand écart politique ?
B. B. - À l'époque où je suis devenu garde du corps de Jivkov, il avait quitté ses fonctions et venait de sortir de prison : il n'était déjà plus personne... J'ai exercé mon métier, j'ai offert une prestation de services. Quant au roi, il a été élu le 17 juin 2001 et je ne suis devenu chef de la police que parce qu'il m'a supplié d'accepter ce poste clé. Il misait sur moi pour s'attaquer à la criminalité. De quel grand écart parlez-vous ? C'est tout le contraire. Mon grand-père, qui était maire de mon village, a été tué par les communistes en 1944 et j'en ai longtemps souffert. En raison de mes origines, parce que mon grand-père était considéré comme un ennemi du peuple, je n'ai pas eu le droit d'exercer certaines activités pendant des années. Je n'ai pas pu, notamment, intégrer les services secrets. Mon engagement politique a été déterminé par une seule chose : l'arrivée des socialistes au pouvoir. Et, apparemment, j'ai bien fait car, depuis, nous avons gagné toutes les élections !
I. L. et S.M. - Avez-vous eu l'occasion de discuter avec Jivkov de la chute du système communiste ? Qu'en pensait-il ?
B. B. - Il croyait à un complot. Fomenté de l'intérieur, puis de l'étranger. En tout cas, il était convaincu d'avoir travaillé au bien-être du pays et était prisonnier de ce qu'il considérait comme « sa » vérité.
I. L. et S.M. - Du temps de l'Union soviétique, la Bulgarie était l'un des plus fidèles alliés de Moscou. Aujourd'hui, la Russie de Poutine investit massivement dans l'énergie bulgare. Ne vous fait-elle pas peur ? Ne craignez-vous pas de perdre votre indépendance ?
B. B. - Non, la Russie ne me fait pas peur. Les Russes font partie de la mémoire collective de la Bulgarie. Je n'ai jamais été l'ami des communistes. Mais je n'oublie pas, pour autant, que plusieurs dizaines de milliers de soldats russes ont perdu leur vie pour libérer la Bulgarie du joug ottoman. En tant que chrétiens, nous avons un très grand respect pour ces gens qui ont placé notre liberté au-dessus de leur vie. Et en tant que pays membre de l'Otan et de l'UE, nous sommes obligés d'observer les règles communes et d'honorer les traités que nous avons signés. Alors, pourquoi aurions-nous peur de la Russie ? Mais vous avez raison de dire que le vrai sujet, c'est l'indépendance énergétique de la Bulgarie. Si je suis venu à Paris, en janvier dernier, c'est d'ailleurs pour consulter vos spécialistes sur le nucléaire et profiter de l'expérience française.
I. L. et S.M. - À l'occasion de sa visite à Sofia, également en janvier, Vladimir Poutine a signé des contrats en matière énergétique et renforcé l'influence économique de la Russie sur la Bulgarie. Certains estiment que votre pays est en train de devenir le cheval de Troie de Moscou dans l'Union européenne... Qu'en pensez-vous ?
B. B. - Le parti socialiste bulgare a toujours été le vecteur d'influence des intérêts russes. Une grande partie des dirigeants socialistes sont des anciens agents des services secrets ; ils ont été formés en Russie. Ils ont un lien personnel avec Moscou. Mon parti politique et moi-même avons réussi à nous libérer de cette dépendance entretenue par la plupart des responsables bulgares (1). Nous sommes donc tranquilles. Et nous le sommes d'autant plus que nous avons de très bonnes relations avec l'Allemagne et avec la France. Pour dire les choses franchement, le vrai responsable de cette situation, pour moi, ce n'est pas Vladimir Poutine, mais nos dirigeants, les socialistes bulgares, qui négocient des contrats défavorables à notre pays. Je répète qu'il n'y a pas de mal à avoir de bonnes relations commerciales avec la Russie, notamment dans le domaine touristique, à condition que ce partenariat soit profitable à Sofia et pas seulement à Moscou.
I. L. et S.M. - Êtes-vous pour ou contre l'installation de bases américaines en Bulgarie ?
B. B. - Nous ne sommes pas contre. J'ai toujours été en liaison étroite avec les services de police américains. C'est même moi qui ai créé le bureau du FBI à Sofia. Et j'ai toujours été persuadé que la Bulgarie devait être très proche des États-Unis. C'est d'ailleurs l'une des principales orientations de mon parti. Mais ce qui est valable pour Moscou doit l'être aussi pour Washington. Les Américains et leurs bases sont les bienvenus en Bulgarie. Pour autant, nous voulons conserver notre indépendance et rester le centre énergétique des Balkans.
I. L. et S.M. - Combien de temps pourrez-vous vous permettre de ne pas prendre position dans la lutte d'influence (2) que se livrent à nouveau, sur le sol bulgare, les anciens ennemis de la guerre froide, États-Unis et Russie ?
B. B. - Ce n'est pas une question …
Ce site est en accès libre. Pour lire la suite, il vous suffit de vous inscrire.
Celui-ci sera votre espace privilégié où vous pourrez consulter à tout moment :