Les Grands de ce monde s'expriment dans

MORALISER LES MIGRATIONS

Entretien avec Brunson Mckinley par Aude Marcovitch, correspondante de Politique Internationale en Israël.

n° 119 - Printemps 2008

Brunson Mckinley

Aude Marcovitch - 191 millions de personnes, soit 3 % de la population mondiale, sont aujourd'hui des migrants. Qu'est-ce que ce chiffre signifie ?

Brunson McKinley - Il signifie que la migration est incontestablement l'un des grands défis du XXIe siècle. Tous les pays de la planète, sans exception, y sont confrontés. La principale raison pour laquelle les migrants quittent leurs lieux d'origine relève d'une logique économique : des habitants de pays en développement partent pour les pays développés dans l'espoir d'y trouver des emplois mieux rémunérés. Alors que la démographie des pays plus riches est en déclin et que celle des pays pauvres continue d'augmenter, ce mouvement apparaît irréversible. Avec un taux de croissance de la population de moins de 0,3 % dans les pays développés, alors qu'il est six fois plus élevé dans les pays en développement, il existe un déséquilibre profond entre l'offre de main-d'oeuvre, insuffisante, et les besoins de l'économie des États les plus prospères. Au cours des années à venir, cette réalité conduira tous les pays à adopter un système de migration plus ouvert mais, aussi, mieux régulé.

A. M. - Pourtant, l'immigration est également perçue aujourd'hui comme une menace : les pays développés cherchent à se protéger des populations pauvres qui y affluent...

B. M. - Ce n'est pas du tout ainsi que je vois les choses. Pour une raison simple : les pays riches ont besoin de travailleurs venant de l'extérieur. Certes, grâce aux moyens technologiques dont ils disposent, ils peuvent dans une certaine mesure réorganiser leur industrie en minimisant les besoins de main-d' oeuvre. Il reste que lorsque l'indice démographique est négatif, lorsque la population en âge de travailler décroît et qu'à l'inverse le nombre de personnes âgées est en augmentation, rien ne peut remplacer les apports positifs de la migration. Si vous désirez que votre industrie soit maintenue à flot, que l'on prenne soin de votre population âgée et que l'on s'occupe de vos enfants (car leurs mères vont travailler), alors vous avez besoin de main-d'oeuvre étrangère.
Prenons le cas de l'Europe : dans les temps anciens, les familles élargies veillaient sur les personnes âgées - lesquelles, d'ailleurs, ne vivaient pas aussi longtemps qu'aujourd'hui. En outre, les femmes ne travaillaient pas. Or à présent, il n'en va plus de même. Du coup, nos demandes de soins pour les aînés ont explosé. Les Européens ont amélioré leur situation socio-économique et ne souhaitent plus travailler dans les institutions pour personnes âgées - une activité très éprouvante, mais qui n'exige pas de hautes compétences. Si vous visitez ces institutions, vous constaterez que l'emploi de la main-d'oeuvre étrangère y est déjà très largement répandu. Ce phénomène va s'amplifier, à moins que l'augmentation des taux de fécondité ne vienne renverser les tendances démographiques des pays les plus riches.

A. M. - Les migrations font partie de l'histoire de l'humanité, mais le mouvement transfrontalier de populations s'est accéléré au cours du siècle dernier. Ce mouvement ne cesse de prendre de l'ampleur, puisqu'il connaît aujourd'hui une croissance de 2,9 % par an. Qu'est-ce qui a changé au cours des dernières années dans la manière dont les gens migrent ?

B. M. - Dans l'histoire des hommes, les migrations sont en effet relativement constantes. La fin de la guerre froide a marqué un changement significatif : l'ouverture des frontières a, à la fois, permis aux gens de bouger et accru leur désir de bouger. Dans le même temps, on a assisté au développement d'un type de migration qui n'est pas permanente, une migration dont le but est de satisfaire les besoins en main-d'oeuvre des pays riches et les besoins en argent des populations pauvres, mais qui n'est pas nécessairement liée à un changement permanent de nationalité. On l'appelle « migration circulaire ».
À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les migrations étaient « unilatérales » : les gens quittaient leur pays dans l'idée d'aller refaire leur vie ailleurs. Le modèle américain en est l'exemple type. Mais si vous regardez les États-Unis aujourd'hui, vous y trouverez davantage d'expatriés qui viennent pour étudier et travailler que de gens qui s'y établissent définitivement. Cette situation est due à la fois aux conditions proposées par les États-Unis (mais ce constat vaut aussi pour les autres pays d'accueil) et aux aspirations des migrants. Bon nombre de ceux qui font le voyage vers les États-Unis souhaitent épargner, puis retourner dans leur pays ou, peut-être, continuer l'expérience dans un autre pays. Ce phénomène existe à tous les niveaux, aussi bien pour les professions très qualifiées comme les chirurgiens, les architectes et les spécialistes en informatique qui pourraient postuler n'importe où, que pour ceux qui exercent des activités moins qualifiées. C'est le cas des Mexicains aux États-Unis, des Philippins dans le golfe Persique, des Mozambicains en Afrique du Sud : une bonne partie d'entre eux n'ont pas l'intention de changer de citoyenneté ou de s'installer pour toujours dans les pays où ils viennent travailler.

A. M. - Quelles sont les conséquences de cette « migration circulaire », pour les migrants et pour les pays qui les accueillent ?

B. M. - Les migrants sont satisfaits de leur expérience si elle leur permet de gagner plus d'argent, d'apprendre de nouvelles techniques et de nouer des contacts. Dans ces cas, ils choisissent soit de rester dans le pays où ils ont migré, soit de retourner dans leur pays d'origine pour y développer leur propre affaire ou, tout simplement, y passer leur retraite. Il y a de nombreuses histoires d'immigrations réussies au XXIe siècle.
Les problèmes commencent quand des personnes désireuses de chercher du travail dans des pays plus riches se heurtent à une porte fermée. C'est alors qu'elles vont écouter les sirènes des passeurs qui proposent de les faire entrer dans le pays désiré par des chemins détournés. Cette migration clandestine provoque d'innombrables tragédies. Les images de naufrages d'embarcations contenant des clandestins africains qui rêvaient de traverser la Méditerranée sont, hélas, fréquentes... À l'heure où nous parlons, entre 15 et 20 % des migrants dans …