Dans les Balkans, le Monténégro est une exception. Seule république yougoslave à avoir arraché son indépendance sans guerre ni violences, le « Crna Gora » (la montagne noire, en serbe) est aussi l'unique pays de la région qui ait su maintenir une cohabitation pacifique entre ses différentes ethnies. Nommé premier ministre en 1991, alors qu'il n'avait que 29 ans, Milo Djukanovic est revenu au pouvoir au printemps dernier après s'être absenté une petite année de la vie politique. Aujourd'hui âgé de 46 ans, il a déjà battu tous les records de longévité dans la région. Le courage politique avec lequel il a affronté les événements qui ont secoué les Balkans depuis le début des années 1990 explique en grande partie sa popularité.Considéré comme un réformateur libéral, l'artisan de l'indépendance monténégrine a pourtant été un allié de l'ancien président serbe Slobodan Milosevic, l'homme qui a mis le feu aux Balkans. Lorsque les guerres éclatent, en 1991 et 1992, après la proclamation d'indépendance de la Slovénie, de la Croatie et de la Bosnie, le Monténégro décide de rester avec la Serbie au sein de la Yougoslavie. Intégrées dans l'armée yougoslave, les forces monténégrines participent même au siège du port croate de Dubrovnik, en 1991.
Djukanovic s'éloigne progressivement de Milosevic à partir de 1995, après les accords de Dayton (1) qui ont mis fin à la guerre en Bosnie. En 1996-1997, il devient l'un des contempteurs les plus acharnés de la politique de Belgrade. Il se rapproche en revanche de Zoran Djindjic, le leader du Parti démocrate de Serbie, qui devient premier ministre au lendemain de la chute de Milosevic, avant d'être assassiné en mars 2003. Pendant les bombardements que l'Otan inflige à la Yougoslavie en 1999 - lesquels visent à mettre fin à la répression des forces serbes contre les Albanais du Kosovo -, Djukanovic maintient le Monténégro à l'écart du conflit. Cette bienveillante neutralité, qui facilite la tâche de l'Alliance, lui vaut alors les éloges et l'aide financière des États-Unis et des Européens.
La sympathie des Occidentaux disparaît lorsque Djukanovic décide d'organiser un référendum sur l'indépendance du Monténégro. Milosevic ayant quitté le pouvoir en 2000, la communauté internationale - qui redoute l'impact déstabilisateur que pourrait avoir une nouvelle sécession dans les Balkans - estime que le Monténégro peut très bien demeurer au sein de la Serbie. Soumis à une pression intense, Djukanovic accepte de reporter son référendum et de former une nouvelle union avec la Serbie, en 2003, pour remplacer la défunte Yougoslavie... mais sans jamais renoncer au rêve de l'indépendance. Au cours des années suivantes, les deux républiques suivent deux voies différentes. Tandis que le Monténégro persiste dans sa politique pro-européenne et libérale, la Serbie, elle, éprouve de plus en plus de difficultés à maintenir le cap des réformes. L'Union entre Belgrade et Podgorica étant devenue une fiction, les Européens doivent se résoudre, à contrecoeur, au référendum monténégrin. Tenu en 2006, le scrutin est un succès éclatant. L'indépendance est proclamée le 3 juin. Depuis cette date, le Monténégro a confirmé son rapprochement avec l'Union européenne tout en ménageant la partie de la population qui se déclare serbe (2) et refusait la sécession. Toujours très populaire, Milo Djukanovic ainsi que son parti, le Parti démocrate des socialistes (DPS), ont en quelque sorte réussi à faire digérer l'indépendance aux partis politiques serbes, qui la redoutaient.
I. L. Isabelle Lasserre - Le Monténégro est un petit pays qui n'a que 650 000 habitants. Or, sous votre houlette, il a acquis une influence largement supérieure à celle qui, normalement, devrait être la sienne. Quelle en est la raison ?
Milo Djukanovic - Le Monténégro se trouve au coeur d'une région qui a connu quinze ans de guerres ethniques et religieuses (3). Depuis le début des années 1990, mon pays a démontré sa capacité à préserver de bonnes relations entre tous ses habitants, quel que soit le peuple auquel ils appartiennent et quelle que soit la foi qu'ils professent. Pour moi, le caractère multi-ethnique ne doit pas être considéré comme un facteur d'instabilité dans les Balkans. Au contraire. L'exemple du Monténégro le prouve : la multi-ethnicité ne nous a absolument pas empêchés de préserver la stabilité du pays. C'est sans doute la raison pour laquelle on parle autant du Monténégro !
I. L. - Mais vous avez bien une recette ? Comment expliquer votre longévité politique personnelle et le destin si particulier du Monténégro dans ces Balkans turbulents ?
M. D. - La réponse se trouve dans l'histoire ancienne. Lorsque le Monténégro était une principauté (4), sa priorité était déjà de maintenir de bons rapports entre les peuples qui en faisaient partie. Cette tradition nous a été d'un grand secours lors du déclenchement des guerres yougoslaves. Il est vrai, aussi, que la politique conduite par le gouvernement durant cette période difficile a été la bonne. Cette politique, inscrite dans notre tradition de tolérance, a pourtant été mise en danger au début des années 1990 : à l'époque, il était mal vu de tenir un cap multi-ethnique ! Le nationalisme avait le vent en poupe dans les Balkans et, particulièrement, en Serbie. Mais en Bosnie, aussi, les musulmans suivaient sans hésiter le nationaliste Alija Izetbegovic. Il fallait toujours choisir l'un des deux camps. Le Monténégro a refusé ce choix. Nous avons évité le piège nationaliste. C'était pour nous la seule chance de maintenir la paix. Les faits nous ont donné raison... même si, à l'époque, bon nombre de nos concitoyens nous ont accusés de ne pas être suffisamment patriotes ! L'histoire s'est reproduite en 1999, pendant la crise du Kosovo. Ce n'était pas notre guerre mais une guerre privée qui devait permettre à Milosevic de se maintenir au pouvoir. Il était donc hors de question d'y participer. Certains nous ont alors considérés comme des traîtres. Mais nous n'avons pas dévié de notre ligne. Celle-ci se résumait en deux formules : conserver le caractère multi-ethnique du Monténégro ; et obtenir l'indépendance par un processus démocratique. C'est là toute la spécificité du Monténégro dans les Balkans.
I. L. - On dit que ce sont les Occidentaux qui vous ont demandé, au début de l'année, de revenir au pouvoir (5), car vous seriez le seul dirigeant capable de faire baisser la tension perceptible dans la région depuis l'indépendance du Kosovo (6)...
M. D. - Mon retour aux affaires n'a rien à voir avec des …
Djukanovic s'éloigne progressivement de Milosevic à partir de 1995, après les accords de Dayton (1) qui ont mis fin à la guerre en Bosnie. En 1996-1997, il devient l'un des contempteurs les plus acharnés de la politique de Belgrade. Il se rapproche en revanche de Zoran Djindjic, le leader du Parti démocrate de Serbie, qui devient premier ministre au lendemain de la chute de Milosevic, avant d'être assassiné en mars 2003. Pendant les bombardements que l'Otan inflige à la Yougoslavie en 1999 - lesquels visent à mettre fin à la répression des forces serbes contre les Albanais du Kosovo -, Djukanovic maintient le Monténégro à l'écart du conflit. Cette bienveillante neutralité, qui facilite la tâche de l'Alliance, lui vaut alors les éloges et l'aide financière des États-Unis et des Européens.
La sympathie des Occidentaux disparaît lorsque Djukanovic décide d'organiser un référendum sur l'indépendance du Monténégro. Milosevic ayant quitté le pouvoir en 2000, la communauté internationale - qui redoute l'impact déstabilisateur que pourrait avoir une nouvelle sécession dans les Balkans - estime que le Monténégro peut très bien demeurer au sein de la Serbie. Soumis à une pression intense, Djukanovic accepte de reporter son référendum et de former une nouvelle union avec la Serbie, en 2003, pour remplacer la défunte Yougoslavie... mais sans jamais renoncer au rêve de l'indépendance. Au cours des années suivantes, les deux républiques suivent deux voies différentes. Tandis que le Monténégro persiste dans sa politique pro-européenne et libérale, la Serbie, elle, éprouve de plus en plus de difficultés à maintenir le cap des réformes. L'Union entre Belgrade et Podgorica étant devenue une fiction, les Européens doivent se résoudre, à contrecoeur, au référendum monténégrin. Tenu en 2006, le scrutin est un succès éclatant. L'indépendance est proclamée le 3 juin. Depuis cette date, le Monténégro a confirmé son rapprochement avec l'Union européenne tout en ménageant la partie de la population qui se déclare serbe (2) et refusait la sécession. Toujours très populaire, Milo Djukanovic ainsi que son parti, le Parti démocrate des socialistes (DPS), ont en quelque sorte réussi à faire digérer l'indépendance aux partis politiques serbes, qui la redoutaient.
I. L. Isabelle Lasserre - Le Monténégro est un petit pays qui n'a que 650 000 habitants. Or, sous votre houlette, il a acquis une influence largement supérieure à celle qui, normalement, devrait être la sienne. Quelle en est la raison ?
Milo Djukanovic - Le Monténégro se trouve au coeur d'une région qui a connu quinze ans de guerres ethniques et religieuses (3). Depuis le début des années 1990, mon pays a démontré sa capacité à préserver de bonnes relations entre tous ses habitants, quel que soit le peuple auquel ils appartiennent et quelle que soit la foi qu'ils professent. Pour moi, le caractère multi-ethnique ne doit pas être considéré comme un facteur d'instabilité dans les Balkans. Au contraire. L'exemple du Monténégro le prouve : la multi-ethnicité ne nous a absolument pas empêchés de préserver la stabilité du pays. C'est sans doute la raison pour laquelle on parle autant du Monténégro !
I. L. - Mais vous avez bien une recette ? Comment expliquer votre longévité politique personnelle et le destin si particulier du Monténégro dans ces Balkans turbulents ?
M. D. - La réponse se trouve dans l'histoire ancienne. Lorsque le Monténégro était une principauté (4), sa priorité était déjà de maintenir de bons rapports entre les peuples qui en faisaient partie. Cette tradition nous a été d'un grand secours lors du déclenchement des guerres yougoslaves. Il est vrai, aussi, que la politique conduite par le gouvernement durant cette période difficile a été la bonne. Cette politique, inscrite dans notre tradition de tolérance, a pourtant été mise en danger au début des années 1990 : à l'époque, il était mal vu de tenir un cap multi-ethnique ! Le nationalisme avait le vent en poupe dans les Balkans et, particulièrement, en Serbie. Mais en Bosnie, aussi, les musulmans suivaient sans hésiter le nationaliste Alija Izetbegovic. Il fallait toujours choisir l'un des deux camps. Le Monténégro a refusé ce choix. Nous avons évité le piège nationaliste. C'était pour nous la seule chance de maintenir la paix. Les faits nous ont donné raison... même si, à l'époque, bon nombre de nos concitoyens nous ont accusés de ne pas être suffisamment patriotes ! L'histoire s'est reproduite en 1999, pendant la crise du Kosovo. Ce n'était pas notre guerre mais une guerre privée qui devait permettre à Milosevic de se maintenir au pouvoir. Il était donc hors de question d'y participer. Certains nous ont alors considérés comme des traîtres. Mais nous n'avons pas dévié de notre ligne. Celle-ci se résumait en deux formules : conserver le caractère multi-ethnique du Monténégro ; et obtenir l'indépendance par un processus démocratique. C'est là toute la spécificité du Monténégro dans les Balkans.
I. L. - On dit que ce sont les Occidentaux qui vous ont demandé, au début de l'année, de revenir au pouvoir (5), car vous seriez le seul dirigeant capable de faire baisser la tension perceptible dans la région depuis l'indépendance du Kosovo (6)...
M. D. - Mon retour aux affaires n'a rien à voir avec des …
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