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TURQUIE: LA CONTRE-OFFENSIVE DES KEMALISTES

C'est une situation pour le moins inédite que connaît la Turquie. Alors que le pays, candidat à l'Union européenne, poursuit depuis octobre 2005 de longues et complexes négociations d'adhésion avec l'UE, sa principale formation politique pourrait bien être interdite. Dès cet automne, l'AKP (Parti de la justice et du développement) - un parti issu du mouvement islamiste, arrivé au pouvoir en 2002 en remportant 34,3 % des suffrages et brillamment reconduit en juillet 2007 avec 46,5 % des voix - pourrait être interdit par la Cour constitutionnelle. Celle-ci a été saisie le 14 mars dernier par le procureur de la Cour de cassation, Abdhurrahman Yalçinkaya. Le haut magistrat accuse le parti du premier ministre Recep Tayyip Erdogan d'être un « foyer d'activités anti-laïques » et demande non seulement sa dissolution mais, aussi, que 71 de ses maires, députés ou dirigeants, dont le chef du gouvernement lui-même et le président de la République Abdullah Gül, soient frappés pour cinq ans d'une interdiction d'exercer des activités politiques !Quelques semaines plus tôt, ce même magistrat avait ouvert une procédure similaire à l'encontre du DTP (Parti pour une société démocratique), le principal parti kurde, auquel il reproche d'encourager le « séparatisme » et d'être étroitement lié au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), un mouvement de guérilla que les États-Unis aussi bien que l'Union européenne considèrent comme une organisation terroriste. On perçoit encore mieux l'ampleur du séisme que représenterait l'interdiction de ces partis quand on sait que les 341 députés de l'AKP et les 20 du DTP comptent pour près des deux tiers des 550 élus de la « grande Assemblée nationale ».
Une démocratie sous tutelle
« C'est une remise en cause de la volonté nationale », s'est exclamé Recep Tayyip Erdogan en apprenant l'ouverture de cette procédure contre un parti devenu pour beaucoup, en Turquie comme à l'étranger, le symbole même de la « révolution du Bosphore » (un important programme de réformes conduit sous la pression de Bruxelles et destiné à démocratiser et à libéraliser le pays afin de lancer le processus d'adhésion). Car l'AKP a, dès son arrivée au pouvoir, pleinement soutenu le cap européen en se présentant comme un parti « libéral conservateur », conscient des avantages qu'il pourrait en retirer. Ses contempteurs affirment que cette attitude est due au fait que les réformes souhaitées par l'UE, qui insiste sur la stricte séparation des pouvoirs, doivent aboutir à la fin de l'influence politique de l'armée et de la justice. Or celles-ci, très attachées au modèle républicain et laïque cher à Mustapha Kemal, représentent un danger mortel pour l'AKP... Quoi qu'il en soit, une chose est sûre : depuis 2002, le parti n'a cessé d'agir en faveur de l'adhésion de la Turquie à l'UE, même s'il a perdu de son enthousiasme depuis quelques mois. Nous y reviendrons.
Quinze jours après son dépôt, la procédure était jugée pleinement recevable par les onze juges de la Cour constitutionnelle. Le président de celle-ci, Hasim Kilic, est un libéral qui n'est pas a priori …