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APRES LES MOLLAHS...

Entretien avec Maryam Radjavi par la Rédaction de Politique Internationale

n° 120 - Été 2008

Maryam Radjavi Politique Internationale - Madame Radjavi, comment jugez-vous Mahmoud Ahmadinejad par rapport aux dirigeants iraniens précédents ? Est-il, à vos yeux, un adversaire plus coriace que son prédécesseur ?
Maryam Radjavi - Comme tous les présidents iraniens, Ahmadinejad est simplement chargé d'appliquer les directives du « Guide suprême », Ali Khamenei.
D'après l'article 110 de la Constitution, le pouvoir est concentré de manière absolue entre les mains du « Guide » religieux. C'est lui qui définit les grandes lignes du régime. En tant que commandant en chef des forces armées, il désigne les chefs militaires, les chefs de la police et des gardiens de la révolution (les Pasdaran), ainsi que la plus haute autorité judiciaire du pays. Il nomme également le directeur de la radio et de la télévision et les mollahs membres du conseil de surveillance. Sacré « chef suprême » de tous les musulmans du monde par cette même Constitution, c'est une sorte de despote digne du Moyen-Âge.
La seule différence que je vois entre Ahmadinejad et ses prédécesseurs, c'est qu'il est encore beaucoup plus soumis à Khamenei ! C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ce dernier s'est arrangé pour qu'il soit élu lors de la mascarade électorale de 2005. Il s'est servi des gardiens de la révolution et des miliciens du Bassidj (1) pour orienter le résultat en sa faveur.
P. I. - Comment interprétez-vous son élection ?
M. R. - Ahmadinejad symbolise la militarisation du système. Il est issu des rangs des forces spéciales des Pasdaran. Son ascension parachève l'hégémonie de ce corps d'élite sur l'exécutif et sur une large partie de l'économie du pays. Au moins quatorze de ses ministres, un grand nombre de ses vice-présidents et de ses conseillers, ainsi que des ambassadeurs et des gouverneurs viennent, eux aussi, des Pasdaran.
En 2005, j'avais déclaré que l'arrivée d'Ahmadinejad au pouvoir était une véritable déclaration de guerre contre le peuple iranien et la communauté internationale, et qu'il s'agissait d'une menace pour la paix dans la région. À l'époque, beaucoup ont considéré que cette mise en garde était exagérée. Il aura pourtant fallu peu de temps pour que les ingérences du régime en Irak atteignent les dimensions gigantesques que l'on connaît aujourd'hui. Un an après, en juillet 2006, il provoquait la guerre au Liban et, l'année suivante, la bande de Gaza se séparait des autres territoires palestiniens pour passer sous le contrôle des agents de Téhéran. Au Liban, le régime iranien a dévoilé son caractère agressif par Hezbollah interposé. Sur le nucléaire, inutile de vous rappeler son intransigeance.
Aux législatives de 2008, Khamenei a achevé ce qu'il avait commencé, en 2005, avec Ahmadinejad. Il a impitoyablement éliminé toutes les bandes rivales, avec la complicité de son président, pour composer un Parlement à sa botte.
Il ne faut pas perdre de vue que toutes ces manoeuvres traduisent avant tout une faiblesse alarmante des dirigeants iraniens. L'ampleur du mécontentement populaire et la fragilité du régime à l'intérieur comme à l'extérieur le rendent incapable de la moindre souplesse ou du moindre compromis. Le « Guide » l'a rappelé : tout recul conduirait inexorablement à l'effondrement du système. Le boycott des dernières législatives a été catastrophique pour le pouvoir. Selon les chiffres officiels à Téhéran et dans les grandes villes la participation était d'environ 30%. Le chiffre réel est bien moindre. Selon les observations des réseaux de la Résistance, il est de l'ordre de 5 %.
P. I. - Tablez-vous sur une démocratisation qui viendrait de l'intérieur, par la voie des urnes, ou sur une évolution plus brutale imposée de l'extérieur ?
M. R. - Sous la tutelle des mollahs, les urnes n'ont pas de sens. Les mises en scène électorales de ce régime ne servent qu'à rendre service à ses apologistes étrangers.
Les candidats aux législatives sont tenus de « se vouer corps et âme au Guide suprême » (code électoral, article 28). On ne laisse pas même aux Iraniens l'illusion de la démocratie. Ces fidèles candidats doivent passer, en effet, par le crible des forces de sécurité, du ministère du Renseignement (le Vevak, la police politique), du comité électoral du ministère de l'Intérieur local puis régional, pour finalement échouer sur l'autel du Conseil de surveillance.
Tout cela pour un Parlement qui ne dispose d'aucune autorité face aux pouvoirs du Guide : il est placé sous le contrôle d'un Conseil des gardiens dont six membres religieux sont désignés par le Guide en personne. Ce Conseil dispose d'un droit de veto sur toutes les lois.
P. I. - Quels changements souhaiteriez-vous voir apporter au système ?
M. R. - Dès le début, notre revendication a été d'exiger la tenue d'élections libres et le respect du suffrage universel. Si le régime avait accepté de s'engager sur cette voie, il n'aurait pas été nécessaire de résister. J'ai réclamé, en octobre 2003, la tenue d'un référendum sur la question. Mais la réponse des mollahs a toujours été la même : plus de répression, d'exécutions et de tortures. Le changement démocratique passe, par conséquent, par un changement de régime dont l'artisan doit être le peuple et la Résistance. Une intervention militaire étrangère n'est pas la solution à la question iranienne.
P. I. - On dit souvent que, au-delà du durcissement apparent du régime, l'essor de la société civile débouchera nécessairement sur un processus de démocratisation. Partagez-vous cet avis ?
M. R. - C'est une thèse fondamentalement fausse car elle s'appuie sur deux hypothèses fictives :
D'abord, que le durcissement du régime ne serait qu'une « apparence ». Pendant des années, certains experts complaisants, défenseurs de grands intérêts économiques, ont tenté de persuader le monde que la sagesse et le bon sens imposaient de ne pas dépeindre les mollahs au pouvoir comme des monstres. Selon eux, ils se transformeraient un jour en gentils modérés. Or l'expérience objective du peuple iranien et d'autres peuples de la région nous enseigne le contraire. Des pendaisons deux fois plus nombreuses, des exécutions d'adolescents, des arrestations aveugles (2), des humiliations quotidiennes infligées aux femmes et aux jeunes, la torture et le …