Les Grands de ce monde s'expriment dans

EGYPTE: LE TEMPS DES REFORMATEURS

par Brigitte Adès, chef du bureau britannique de Politique Internationale. et Pascal Drouhaud, spécialiste de l'Amérique latine

Brigitte Adès et Pascal Drouhaud - Monsieur le secrétaire général, comment votre gouvernement fait-il face à l'influence grandissante de la confrérie islamiste des Frères musulmans ?
Gamal Moubarak - C'est un problème qu'il convient de prendre très au sérieux. La religion est, comme vous le savez, l'une des composantes les plus importantes de notre société et de notre culture. Or certains groupes l'instrumentalisent pour faire progresser leurs idées subversives.
Face à cette menace, l'Égypte a toujours eu une politique claire, qui n'a pas changé depuis la révolution de 1952 : la Constitution prohibe formellement l'utilisation de la religion dans les discours politiques et elle interdit les partis confessionnels. Mais cela ne suffit pas. Depuis quelques mois, ces groupes tentent d'exploiter à leur avantage les difficultés que traverse le pays. En multipliant les discours anti-occidentaux, ils dressent des barrières entre les cultures. Ils détruisent ces ponts entre l'Orient et l'Occident que les générations précédentes ont eu tant de mal à bâtir. C'est la pire chose qui puisse arriver...
B. A. et P. D. - Puisque la loi ne suffit pas, que faut-il faire ?
G. M. - Sans doute faudrait-il encourager la population à s'investir davantage dans l'action politique. Il existe, en Égypte, des forces modérées qui croient en la modernisation de la société, des partis qui comprennent le rôle que notre pays doit assumer dans la région et dans le monde. Nous avons jugé qu'il était plus sage de les intégrer au fonctionnement des institutions démocratiques plutôt que de les laisser évoluer à l'extérieur. Mais que faire des autres ? Comment empêcher les forces négatives de s'engouffrer dans les brèches du système pour le détruire de l'intérieur ? On ne peut pas à la fois favoriser l'ouverture et étouffer toute forme d'expression. C'est le dilemme auquel sont aujourd'hui confrontés un grand nombre de pays.
B. A. et P. D. - Quels sont les autres facteurs de déstabilisation ?
G. M. - La pauvreté, c'est une évidence. C'est l'un des terreaux sur lesquels prospèrent les radicaux de tous bords. Notre objectif est d'améliorer le niveau de vie des Égyptiens. Pour y parvenir, nous agissons dans trois directions : favoriser l'insertion de l'Égypte dans l'économie mondiale ; réduire le rôle de l'État ; et donner une plus grande liberté au secteur privé.
Des réformes ont été engagées dans le domaine fiscal, douanier et commercial. Sans oublier la protection sociale dont le champ a été étendu. Je dois dire que ces efforts ont porté leurs fruits : au cours des quatre dernières années, nos exportations ont doublé et nous avons créé près de 800 000 emplois par an. Les investissements étrangers affluent. Tous les indicateurs de l'économie égyptienne se sont redressés et le taux de croissance tourne autour de 7,5 % par an. Mais beaucoup reste à faire. Le plus grand défi auquel nous devons faire face est l'augmentation des prix de l'énergie et des denrées alimentaires. C'est un dossier dans lequel le président Moubarak s'implique personnellement, comme l'a montré sa participation au sommet de la FAO, à Rome, en juin dernier.
B. A. et P. D. - Dans quel état d'esprit avez-vous grandi ?
G. M. - Comme beaucoup de mes compatriotes, j'ai su très vite, enfant déjà, ce que signifiait être fils de militaire. Mon père était officier de l'armée égyptienne. J'ai appris le sens de l'honneur et j'en connais plus que jamais la portée aujourd'hui. Je voudrais ajouter que ma génération est composée de milliers d'Égyptiens qui, comme moi, ont été marqués par la guerre : leur père, leur oncle, des membres proches de leur famille ont participé aux différents conflits qui ont jalonné l'histoire de l'Égypte durant les années 1960 et 1970. Cette expérience les aide à apprécier la paix à sa juste valeur...
B. A. et P. D. - Est-il difficile de se faire un prénom quand on a un père aussi éminent que le vôtre ?
G. M. - En réalité, ce genre de considération est secondaire. Ce qui compte, pour moi, c'est de travailler et de poursuivre les réformes engagées. C'est aux Égyptiens et aux membres du PND de se prononcer : ai-je réussi parce que je suis le fils du président ou en raison de mes compétences ? Lorsque je suis entré en politique, il y a sept ans, j'ai voulu prouver que j'étais capable de participer au processus de réformes. J'espère y être parvenu.
B. A. et P. D. - Justement, le processus de réformes vous paraît-il bien parti ? Sera-t-il suffisant ? Êtes-vous satisfait à ce stade de l'évolution du PND ?
G. M. - Il y a trois ans, mon parti a été élu sur un programme de réformes ambitieux. Nous savons que, dans deux ans, nous aurons à rendre des comptes à nos électeurs. D'ici là, la vie des Égyptiens se sera-t-elle améliorée ? Aurons-nous réalisé les réformes que nous avons promises ? Si c'est le cas, nous nous sentirons encouragés à continuer dans cette voie. Sinon, nous devrons être honnêtes avec nous-mêmes et vis-à-vis de l'opinion et reconnaître que nous avons échoué. Je suis parfaitement conscient des enjeux et je m'y prépare du mieux possible. Je sais que notre action sera examinée à la loupe. C'est ce qu'on appelle la « culture du résultat » !
B. A. et P. D. - À mi-parcours, êtes-vous optimiste ?
G. M. - Conduire le changement est toujours une tâche ardue. Cela exige une vision à long terme et de la persévérance. Il faut parfois accepter d'être impopulaire. Mais si vous êtes vraiment convaincu de la justesse de votre décision, alors il faut vous y tenir. La modernisation est à ce prix.
Il y a un aspect que nous n'avons pas abordé jusqu'à présent et qui me semble primordial : les réformes que nous avons lancées sont étroitement tributaires du contexte régional. C'est la raison pour laquelle notre gouvernement s'efforce, depuis quelques mois, de remettre le processus de paix sur les rails. La région, y compris l'Égypte, ne pourra jamais s'en sortir tant …