Entretien avec
Nicolas Sarkozy, Ancien Président de la République Française (2007 à 2012)
par
la Rédaction de Politique Internationale
n° 120 - Été 2008
Politique Internationale - Monsieur le Président, au moment où la France prend la présidence de l'Union européenne, comment voyez-vous le rôle de l'Europe dans le monde ? Nicolas Sarkozy - Je crois profondément que, si les Européens en ont la volonté, le XXIe siècle peut être le siècle de l'Europe. Pour deux raisons : D'abord, nous sommes entrés, pour plusieurs décennies, dans une ère de « puissance relative ». Après la glaciation du monde bipolaire de 1945 à 1990, après la décennie du « moment unipolaire » de 1991 à 2001, nous voici au seuil d'une configuration nouvelle, dont nous n'avons pas encore pris toute la mesure. L'émergence économique et politique de la Chine, de l'Inde, du Brésil, ainsi que le retour de la Russie créent les conditions objectives d'un nouveau concert des grandes puissances. Avec une situation nouvelle : aucun pays n'est plus en mesure d'imposer seul sa vision des choses. Pour traiter les problèmes du monde, la coopération est indispensable. Mais - et c'est mon deuxième point - il nous reste à inventer les relations et les institutions qui permettront aux grandes puissances du XXIe siècle d'agir efficacement pour le bien commun de l'humanité. Et c'est dans ce domaine que l'Union européenne peut apporter une contribution irremplaçable. P. I. - Pour quelle raison ? N. S. - Tout simplement parce que, depuis cinq décennies, les Européens ont appris à pratiquer entre eux cette nécessaire coopération entre « puissances relatives » qui est la base de la construction européenne. Il faut maintenant la transposer et la mettre en place au niveau mondial. Bâtir ensemble, rechercher chaque jour des solutions qui prennent en compte les intérêts de chacun pour les dépasser dans une action collective est devenu une seconde nature chez les Européens. C'est ainsi que nous avons établi le marché unique, créé l'euro, négocié le traité simplifié. Je crois qu'il revient aux Européens de proposer au monde cette démarche coopérative. Au XXIe siècle, les notions d'ennemi ou d'adversaire n'ont plus cours entre les grandes puissances. Toute la question est de savoir s'il est possible de faire prévaloir sur les idées de concurrence et de rivalité celle de partenariat responsable. Pouvons-nous bâtir pour le XXIe siècle un ordre nouveau, mieux adapté à notre monde globalisé, où tous les États, grands et petits, auront le sentiment que leurs intérêts sont équitablement respectés ? C'est ce que nous faisons chaque jour au sein de l'Union européenne. C'est ce que l'Europe devrait proposer au reste de la planète. Je suis frappé de voir que ma proposition de transformation progressive du G8 en G13 reçoit le soutien du Royaume-Uni et de l'Allemagne, alors qu'elle suscite des réserves au Japon et aux États-Unis. De même, en ce qui concerne la réforme du Conseil de sécurité de l'ONU, la France et la Grande-Bretagne sont, parmi les membres permanents, ceux qui sont les plus en pointe. P. I. - L'Europe a-t-elle vraiment la capacité et la volonté d'entraîner, de montrer le chemin au reste du monde ? N. S. - Je sens, dans votre question, pointer un scepticisme que je ne partage pas. Les Européens, les Français en particulier, ont tendance à douter de l'Europe parce qu'ils mesurent ses progrès, qui sont réguliers mais nécessairement lents, à l'aune de leurs attentes, qui sont grandes. Mais, si l'on regarde dans le rétroviseur le chemin parcouru en cinquante ans seulement, force est de reconnaître que la construction de l'Europe est un processus sans précédent dans l'histoire de l'humanité : par la volonté librement et démocratiquement exprimée de leurs peuples, 27 pays représentant 500 millions d'hommes et de femmes bâtissent dans la paix un avenir commun. C'est le retour de l'Europe sur la scène de l'Histoire. P. I. - Certes, mais cette Europe n'est-elle pas essentiellement préoccupée par sa construction ? N. S. - Cela a été vrai, notamment, pendant ces dix années de débats sur les institutions de l'Union européenne. Et c'est sans doute l'une des raisons qui expliquent les « non » français et néerlandais de 2005, ou le « non » irlandais de 2008. Les Européens veulent une Europe qui s'occupe d'eux, qui apporte des solutions à leurs problèmes : les prix de l'énergie, l'immigration... Et c'est précisément sur ces problèmes que la présidence française mettra l'accent, pour rapprocher l'Europe des citoyens. Dans le même temps, l'Union a besoin d'institutions plus efficaces. C'est l'objet du traité de Lisbonne. Il est très souhaitable que le processus de ratification aille à son terme et que nous réfléchissions sereinement, le moment venu, avec nos partenaires irlandais, aux meilleures réponses possibles aux préoccupations exprimées lors du référendum. P. I. - En quoi le traité de Lisbonne aiderait-il l'Europe sur la scène internationale ? N. S. - Pour défendre les intérêts des Européens dans un monde où seuls quelques grandes puissances auront la capacité de peser de façon décisive, l'Union a besoin d'institutions plus efficaces et plus lisibles. C'est ce que prévoit le traité de Lisbonne : un Président stable du Conseil européen ; un Haut Représentant pour la politique étrangère fusionnant les responsabilités aujourd'hui réparties entre le Conseil et la Commission ; un vrai service diplomatique européen placé auprès de ce Haut Représentant ; enfin, une nouvelle « politique de sécurité et de défense commune » ambitieuse et pragmatique, permettant à tous ceux qui le veulent de s'engager dans le renforcement de notre sécurité. On ignore trop souvent que l'Union européenne a mené, au cours des dix dernières années, une quinzaine d'opérations qui contribuent à la paix, des Balkans à l'Afrique en passant par le Proche-Orient. La dernière en date, l'Eufor, est en cours de déploiement au Tchad, près du Darfour, à l'initiative de la France. Elle est dirigée par un général irlandais et comptera 3 700 hommes venus de quatorze pays. La Russie a décidé d'y contribuer avec des hélicoptères. Voilà un bel exemple de ce que l'Europe peut accomplir lorsqu'elle en a la volonté ! P. I. - Par rapport au leadership américain, l'Europe n'est-elle pas un acteur de …
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