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ITALIE: UNE NOUVELLE RENAISSANCE ?

Entretien avec Gianfranco Fini, Vice-président du Conseil italien depuis juin 2001 par Richard Heuzé, correspondant de Politique Internationale en Italie

n° 120 - Été 2008

Gianfranco Fini Richard Heuzé - Comment interprétez-vous la victoire de la droite italienne aux élections des 13 et 14 avril ? Comme un désaveu du gouvernement Prodi et de la politique menée ces dernières années ? Ou comme l'expression d'une tendance générale en Europe ?
Gianfranco Fini - Il est incontestable que l'axe de la politique européenne se déplace vers la droite. Le dernier signe de cette tendance a été enregistré en Grande-Bretagne, avec la déroute électorale du Labour aux élections locales du 1er mai. Je ne suis pas persuadé, pour autant, que la performance du centre-droit italien s'inscrive dans ce vaste mouvement. Si nous l'avons emporté, c'est grâce à nos propres mérites et à notre programme de gouvernement, qui a su convaincre une large majorité d'électeurs. L'impopularité du gouvernement Prodi et les contradictions politiques du Parti démocrate ont fait le reste.
Mais à quoi bon s'interroger sans fin sur les facteurs qui ont contribué à notre victoire ? C'est un peu comme au football, où les experts se demandent si une équipe a gagné parce qu'elle était la plus forte ou parce que son adversaire n'était pas à la hauteur. Disons simplement que l'équipe du Peuple de la Liberté s'est imposée parce qu'elle avait les tactiques de jeu les plus modernes et les hommes les plus en forme. Disons aussi qu'avec la victoire du PdL l'Italie pourra tenir son rang dans le championnat européen...
R. H. - Que peut-on attendre de ce nouveau gouvernement Berlusconi ? Aura-t-il les coudées plus franches que ses prédécesseurs pour mettre en oeuvre les réformes annoncées ?
G. F. - La modernisation du pays est un enjeu central. Si l'on veut enrayer la perte de compétitivité de l'Italie sur les marchés européens et mondiaux, il n'y a plus de temps à perdre. Il s'agit non seulement de réaliser des infrastructures dans les secteurs de l'énergie et des communications, mais aussi de débroussailler la jungle législative, bureaucratique et fiscale qui freine les initiatives économiques et empêche les capitaux étrangers de venir s'investir dans notre pays. Je crois que les conditions sont aujourd'hui réunies pour réaliser les réformes nécessaires. La majorité est forte, cohérente et déterminée à mettre en oeuvre les promesses faites aux électeurs. Elle gouvernera cinq ans.
R. H. - Comment mettre en oeuvre ces réformes ?
G. F. - L'objectif est d'aller vite sans risquer de se heurter au veto de petits partis fortement idéologisés. Pour cela, il faut nous doter d'institutions plus souples et plus efficaces. Au cours de la législature précédente, la Commission des Affaires constitutionnelles de la Chambre des députés avait planché sur la question. Elle avait proposé d'aménager le système parlementaire bicaméral actuellement en vigueur et de renforcer le rôle de l'exécutif (2). J'espère qu'il sera possible de repartir sur ces bases. Sur la nécessité des réformes, j'ai l'impression que la majorité et l'opposition sont sur la même longueur d'onde. Il est primordial que, sur ce dossier qui engage l'avenir, nous avancions main dans la main. Nous verrons bien si Walter Veltroni restera fidèle à ses engagements de campagne et si le Parti démocrate sera capable de sacrifier ses intérêts particuliers au profit de ceux du pays. Au final, tout dépendra de la qualité du travail parlementaire.
R. H. - La Ligue du Nord, qui est votre partenaire au sein de la coalition gouvernementale, milite pour l'introduction d'un « fédéralisme fiscal », c'est-à-dire pour le droit des régions à lever leurs propres impôts et d'en conserver la majeure partie sans être contraintes de les reverser au Fonds de péréquation nationale. Cette mesure ne risque-t-elle pas de renforcer les inégalités territoriales ?
G. F. - Le fédéralisme fiscal n'est rien d'autre que la concrétisation du principe d'autonomie et d'auto-gouvernement des régions. Il faudra naturellement prévoir des mécanismes de compensation pour que les zones méridionales ne soient pas pénalisées mais, sur le principe, je n'y suis pas hostile. Au-delà du fédéralisme, il faudra aussi évoquer les questions du bicaméralisme et du renforcement des pouvoirs de l'exécutif (3). Nous devrons revoir les institutions dans leur ensemble. Il faut éviter que des déséquilibres puissent se créer à l'intérieur du système. La charpente de la nouvelle République devra tenir solidement sur ses bases et maintenir un équilibre entre ses diverses composantes.
R. H. - Vous avez toujours été favorable à un régime semi-présidentiel à la française. Pensez-vous qu'il ait quelque chance de voir le jour en Italie ?
G. F. - L'intérêt que j'y vois, c'est que l'élection au suffrage universel direct du chef de l'État (4) permet de contrebalancer les effets du fédéralisme. L'onction populaire confère, en effet, au président de la République un rôle de garant des institutions et de l'unité du pays. Le projet de réforme, approuvé en son temps par la commission Bicamérale (5) que présidait Massimo D'Alema, jetait les bases d'un tel régime semi-présidentiel. Il faudrait le reprendre, quitte à mieux définir les tâches du gouvernement et à renforcer ses pouvoirs de décision.
R. H. - Vous avez brillamment conduit la politique étrangère de l'Italie de 2004 à 2006, au sein du précédent gouvernement Berlusconi. Pensez-vous que, sous la conduite du nouveau ministre des Affaires étrangères, Franco Frattini, la diplomatie italienne subira des infléchissements ?
G. F. - La politique du ministre Frattini sera placée sous le signe de la continuité. Je parle de l'engagement de l'Italie en faveur de la paix et de la stabilité dans le cadre de l'Alliance atlantique et des Nations unies.
R. H. - L'Italie participe en ce moment à plusieurs missions de paix, notamment au Liban et en Afghanistan. Ces actions seront-elles reconduites ?
G. F. - La présence de soldats italiens sur ces théâtres d'opérations a permis à mon pays de s'affirmer sur la scène internationale (6). Quelque 8 400 hommes sont engagés sur le terrain dans des missions internationales de paix dans dix-neuf pays, dont 2 750 au Liban au sein de la Finul dont l'Italie a le commandement et près de 2 500 en Afghanistan. D'autres se trouvent aussi dans les Balkans …