Les Grands de ce monde s'expriment dans

LE COMBAT DE MA VIE

Entretien avec Alvaro Uribe, Président de la Colombie depuis mai 2002 par la Rédaction de Politique Internationale

n° 120 - Été 2008

Politique Internationale - Nicolas Sarkozy est allé très loin dans sa politique de la main tendue aux FARC : il s'est directement adressé aux chefs de la guérilla ; il a promis d'accueillir les guérilleros en France s'ils acceptaient de déposer les armes ; et il leur a même proposé l'asile politique. Approuvez-vous sa démarche ?
Alvaro Uribe - Avant tout, je souhaite rappeler cette vérité : la Colombie est profondément reconnaissante envers tous les gouvernements et toutes les personnes qui soutiennent la lutte démocratique qu'elle livre contre le terrorisme. J'entretiens avec le président Sarkozy des rapports francs et constructifs. Nous autres Colombiens sommes, naturellement, obsédés par la sécurité de notre pays ; nous n'en comprenons que mieux l'« obsession » du président Sarkozy concernant la libération d'Ingrid Betancourt. C'est une noble obsession. Son appui à notre politique de « Sécurité démocratique » a permis la convergence de nos efforts concernant la libération des otages, dont la coordination s'est faite en toute transparence et en toute confiance.
P. I. - Quel jugement portez-vous sur l'immense mobilisation médiatique autour de la personne d'Ingrid Betancourt ? Cette mobilisation contribue-t-elle à retarder ou à accélérer sa libération ?
A. U. - Nos compatriotes qui se trouvent en captivité vivent une terrible tragédie. Leurs familles - et leurs communautés au sens large - souffrent avec eux. Dès lors, toutes les marches et les manifestations qui visent à exprimer la solidarité des Colombiens et des autres peuples avec ces malheureux et leurs proches sont les bienvenues. Nous sommes déterminés à faire le nécessaire pour rendre la liberté à ces personnes et pour empêcher la recrudescence de l'insécurité.
P. I. - Quelle est la popularité actuelle d'Ingrid Betancourt en Colombie, selon vous ? Si elle était libérée et décidait de reprendre sa carrière politique, pourrait-elle sérieusement envisager de parvenir à la présidence ?
A. U. - Comme vous le savez, au moment où Ingrid Betancourt a été enlevée, en 2002, elle était candidate à la présidence de la République. Sa prometteuse carrière politique a été interrompue par l'acte terroriste des FARC. Je parle au nom de tous les Colombiens quand je dis que le pays attend avec impatience qu'elle retrouve la liberté et qu'elle reprenne part à notre débat politique.
P. I. - L'Équateur et le Venezuela ont demandé à la communauté internationale que les FARC se voient attribuer le statut de « forces belligérantes ». D'après Quito et Caracas, une telle reconnaissance pourrait ouvrir la porte à un processus de paix. Que pensez-vous de cet argument ?
A. U. - Je vais être très clair. Aux yeux de l'ONU comme de l'Organisation des États américains (OEA), les groupes violents colombiens, dont les FARC, sont des organisations terroristes. Dès lors que les FARC voudront négocier la paix, mon gouvernement sera prêt à leur accorder tous les avantages prévus dans notre Constitution ; il serait même le premier à cesser de les qualifier de terroristes. Et il demanderait au monde entier - au titre de contribution en faveur de la paix - d'en faire de même.
Pour ce qui concerne la reconnaissance de belligérance, je rappelle que l'on ne saurait qualifier de « belligérants » des groupes armés qui agissent à l'intérieur d'un État démocratique. Or il n'y a pas de dictature en Colombie, à l'inverse de la situation qui a prévalu, à certaines époques, dans d'autres pays d'Amérique latine qui ont connu la guérilla. Au contraire : ce que nous vivons aujourd'hui en Colombie est un approfondissement de la démocratie. Les FARC ne peuvent pas prétendre au statut de belligérants, car ce statut nécessite certaines conditions qu'elles ne remplissent pas.
P. I. - Pouvez-vous préciser votre propos ?
A. U. - D'après le droit international, les conditions suivantes doivent être remplies pour la reconnaissance de belligérance :
- Le groupe doit obéir aux règles classiques du commandement. C'est-à-dire qu'il doit s'agir d'une entité organisée capable de répondre de tous ses actes. Ce n'est plus le cas des FARC. Il suffit, pour s'en convaincre, d'étudier leur gestion du cas d'Emmanuel - le fils de leur otage Clara Rojas (1) - ou les circonstances de l'assassinat des députés du Valle del Cauca (2). Chaque fois, elles ont fait montre d'une absence totale de coordination.
- Le groupe doit respecter le droit international humanitaire. Les FARC font exactement le contraire. Elles commettent régulièrement des massacres de civils et terrorisent la population.
- Le groupe doit exercer son contrôle sur un territoire donné. Or si ces criminels sont présents dans plusieurs régions du pays, ils n'en contrôlent réellement aucune.
Vous le voyez : rien ne justifie que les FARC obtiennent le statut de belligérants. Je propose néanmoins de faire avec elles la même chose que ce que nous avons déjà fait avec un autre mouvement de guérilla, l'ELN : si les FARC se montraient prêtes à entamer un véritable dialogue, alors nous pourrions reconnaître certains de leurs porte-parole politiques, lever les mandats d'arrêt lancés contre eux et faciliter leur participation à des discussions.
Mais reconnaître un statut de belligérants à ces criminels serait un coup terrible porté à la justice de notre pays, alors même que nous faisons d'innombrables efforts pour la renforcer. C'est pourquoi la Colombie a adressé une demande aux autres membres de la communauté internationale : aussi longtemps que ces brigands poursuivront leurs actions, aussi longtemps qu'ils ne prendront pas d'initiatives sérieuses en faveur de la paix, nous demandons que leur qualification de « terroristes » ne soit pas levée et que le statut de « belligérants » ne leur soit pas accordé.
P. I. - Dans quelles conditions les guérilleros des FARC pourraient-ils retrouver la vie civile ?
A. U. - S'il se montre d'une fermeté absolue dans la lutte militaire contre les terroristes, notre gouvernement est généreux avec ceux qui désirent sincèrement réintégrer la vie constitutionnelle de la nation. Nous souhaitons leur réhabilitation totale ; nous souhaitons qu'ils puissent faire des études et qu'ils reviennent au sein de leurs familles ; et nous souhaitons leur …