La « révolution citoyenne » qu'il engage dès son arrivée au pouvoir le met simultanément aux prises avec les partis politiques, les députés, les médias, les banquiers... Mais ses concitoyens le soutiennent en masse : le 28 septembre 2008, ils adoptent à une large majorité un référendum constitutionnel qui donne au président les moyens de ses ambitions (1).
M. G. Marie Gaborit - Monsieur le Président, en cinq ans, huit pays d'Amérique latine ont effectué un virage à gauche (2). Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Rafael Correa - Le peuple ne peut pas se laisser berner indéfiniment. On nous a fait croire que le salut se trouvait dans les privatisations, la libre concurrence, l'ouverture irrationnelle des marchés, etc. Heureusement, les citoyens ont fini par se réveiller et par s'apercevoir qu'on les trompait avec de gigantesques campagnes de propagande. Ils ont enfin pris conscience que leurs ressources naturelles étaient pillées par des gouvernements irresponsables. Le fait que cette prise de conscience se soit produite presque simultanément, et avec une telle vigueur, dans différents pays de l'Amérique latine est difficile à expliquer. Mais, j'insiste, la principale cause de ce virage à gauche est l'échec complet du modèle néolibéral.
M. G. - Deux cents ans après le « cri de l'indépendance de l'Équateur » (3), votre arrivée au pouvoir marque-t-elle le début d'une nouvelle « guerre d'indépendance » contre les États-Unis ?
R. C. - Je le crois. L'Amérique latine est en train de vivre un changement d'époque, une évolution irréversible. Elle ne retournera jamais au passé, elle ne sera plus jamais ce qu'elle fut un jour : soumise, avec des citoyens exploités et silencieux.
M. G. - Vous avez dit un jour que l'intégration latino-américaine était la seule possibilité d'exister face à la mondialisation. Qu'est-ce qui vous fait si peur dans cette mondialisation ?
R. C. - Je n'ai pas peur de la mondialisation. Lorsqu'on analyse ce phénomène, on se rend compte qu'il s'apparente à celui de la révolution industrielle : une époque où, enfant ou adulte, il fallait travailler sept jours par semaine, seize heures par jour, jusqu'à mourir d'épuisement devant les machines. Cent cinquante ans plus tard, il semble que l'on n'ait pas encore trouvé les institutions capables de nous protéger des excès du marché. Cette analogie est peut-être un peu exagérée. Pourtant, elle est pertinente. Aujourd'hui, nous nous trouvons toujours dans ce contexte de capitalisme sauvage ! Pendant des années, la concurrence entre l'Équateur, le Venezuela et les autres pays de la région a été si intense qu'elle a fait baisser le niveau de vie des populations. Nous avons enfin compris qu'en devenant des entités politiques et économiques plus grandes, en nous unissant, nous serions plus forts. C'est pourquoi l'intégration latino-américaine qui, auparavant, n'était qu'un désir et un rêve de nos libertadores - comme Simon Bolivar - devient aujourd'hui un impératif pour notre survie.
M. G. - Quelle nouvelle relation avec les États-Unis souhaitez-vous initier ?
R. C. - Une relation de respect réciproque, souveraine et digne. N'allez surtout pas croire que je tiens les États-Unis pour seuls responsables de notre situation ! Je suis lucide. Une grande partie de l'exploitation économique subie par les Sud-Américains, surtout depuis vingt ans, est largement le fait de nos propres élites - des élites qui parlent espagnol mais réfléchissent en anglais, et qui préfèrent leur villa de Miami aux côtes balnéaires équatoriennes …