Les Grands de ce monde s'expriment dans

L'AME EUROPEENNE

Jean-Paul Picaper - Monseigneur, Baudelaire a écrit: « J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans. » Un Habsbourg ne pourrait-il pas reprendre cette formule à son compte ?
Otto de Habsbourg - Pas tout à fait parce que Rodolphe de Habsbourg, le premier des Habsbourg à être monté sur le trône du Saint Empire romain germanique, n'y a accédé qu'en 1273, deux cents ans après le fondateur de la dynastie, Othon ier, dont je porte, il est vrai, le prénom (1). Mais j'ai vécu tout un siècle. Je me rappelle encore mon oncle François-Joseph...
J.-P. P. - Votre nom, comme nul autre, symbolise l'Europe, d'ouest en est. Vous voyez-vous ainsi ?
O. de H. - Je parle toujours de l'Europe dans son ensemble, la « Paneurope ». J'avais fait la connaissance à Paris, en 1936, du comte Richard Coudenhove-Kalergi (2). Sa hauteur de vue m'avait impressionné. Il était d'origine hollandaise du côté Coudenhove et grecque du côté Kalergi. Sa patrie était l'Europe. Il avait fondé le mouvement paneuropéen. De plus, c'était un citoyen du monde par sa mère qui était japonaise. En tant que président de la « Paneuropa » et député européen, je me suis efforcé de suivre sa trace sans perdre de vue le reste de la planète.
J.-P. P. - Cette Europe a-t-elle une frontière ?
O. de H. - Posons la question autrement : qu'est-ce qui est européen et qu'est-ce qui ne l'est pas ? L'Europe n'a certainement pas encore atteint sa taille définitive. Mais je ne fais pas partie de ceux qui, à Bruxelles, veulent y faire entrer des États non européens comme la Turquie, Israël ou les pays d'Afrique du Nord. Il faudra bien un jour arrêter l'élargissement et ne plus accepter de nouveaux membres dans le club.
On peut naturellement fixer des critères d'appartenance culturelle et géographique assortis de conditions d'adhésion économiques, financières et sécuritaires. Mais je pars de l'idée que tous les peuples chrétiens ont vocation à rejoindre l'Europe. Israël est la patrie de tous les humains de confession juive. De la même manière, l'Europe est la patrie de tous les chrétiens. La religion les unit.
J.-P. P. - La Russie aurait donc, elle aussi, sa place dans l'Union européenne ?
O. de H. - Oui, la Russie orthodoxe qui va jusqu'à l'Oural, comme disait le général de Gaulle, à condition qu'elle devienne un État de droit et que ses performances économiques et sociales s'améliorent. Ce qui est encore loin d'être le cas. Poutine prétend qu'il est attaché aux valeurs occidentales - liberté, démocratie, économie de marché et prospérité pour tous - mais, dans la pratique, la Russie en est plutôt au stade de la corruption, de la bureaucratie, du chantage et de l'économie parallèle. Tous les autres territoires de la Russie sont des colonies. La Russie est le dernier grand empire colonial de l'histoire du monde.
Les États qui sont déjà membres n'ont pas le droit de décider, au nom de leurs intérêts particuliers, de l'avenir de ceux qui …