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LE LIBAN, OTAGE DU GRAND JEU IRAN-OCCIDENT

En mai dernier, le Liban s'est une nouvelle fois retrouvé plongé dans une crise violente qui a dégénéré dans plusieurs parties du pays : à Beyrouth, à Tripoli (la grande ville du Nord) et dans le Chouf. Des combats de rue ont opposé les combattants du Hezbollah aux miliciens sunnites du Courant du futur de Saad Hariri et aux militants druzes de Walid Joumblatt. Ces derniers, membres de la majorité pro-occidentale du premier ministre Fouad Siniora, ont subi un cuisant revers sur le terrain.À l'origine de cette flambée de violence qui a fait près de 70 morts, il y a l'adoption par le gouvernement libanais le 6 mai de deux décrets : l'un prévoyant l'ouverture d'une enquête sur le réseau de télécommunications du Hezbollah et l'autre entérinant la mutation du chef de la sécurité de l'aéroport de Beyrouth, Wafiq Choukeir, proche du parti de Dieu. La réaction de ce dernier ne se fait pas attendre : le 8 mai, son chef, le cheikh Hassan Nasrallah, dénonce une « déclaration de guerre à la résistance ».
Les forces de l'opposition pro-syrienne décident alors de passer à l'offensive. En 48 heures, elles contrôlent Beyrouth-Ouest, fief des sunnites de Saad Hariri, et menacent le leader druze Walid Joumblatt dans la montagne du Chouf. Des combats très violents ont lieu à Tripoli. À noter que les régions chrétiennes sont épargnées. Les partis de la majorité parlent alors de « coup d'État » du Hezbollah et de ses alliés.
Après une semaine de violence, tous les chefs de partis libanais se réunissent à Doha au Qatar, sous l'égide de l'émir et de la Ligue arabe. Un accord est trouvé le 21 mai : il prévoit l'élection à la présidence du général Michel Sleimane, la création d'un gouvernement d'union nationale dans lequel l'opposition dispose d'une minorité de blocage et l'élaboration d'une nouvelle loi électorale pour les législatives de 2009.
Mais l'accord n'a pu intervenir qu'après la décision du gouvernement de revenir sur les deux décrets controversés. Elle entérine la victoire par les armes de l'opposition sur la majorité, qui a sous-estimé la puissance du Hezbollah. La crise a pu être surmontée, mais aucune solution n'a été trouvée concernant les armes du parti de Dieu, un dossier ultrasensible. Entre la crise de mai dernier et les prochaines élections législatives du printemps 2009, le Liban est plus que jamais écartelé entre deux visions diamétralement opposées : celles des pro-occidentaux et celles des alliés de l'Iran et de la Syrie.
L'ancien président de la République de 1982 à 1988, Amine Gemayel, appartient à la majorité anti-syrienne du 14 mars, qui regroupe le sunnite Saad Hariri, le druze Walid Joumblatt et le chrétien Samir Geagea. Il est le président du parti Kataëb, le mouvement politique chrétien fondé par son père Pierre, qui a longtemps dominé la vie politique libanaise. Aujourd'hui, le parti a beaucoup perdu de son influence, notamment au profit de deux autres formations chrétiennes, le Courant patriotique libre (CPL) du général Aoun et les Forces libanaises (FL) de Samir Geagea. Amine Gemayel a même été battu à l'élection législative partielle dans le Metn, par un candidat du CPL, Camille Khoury. Il s'agissait pourtant de succéder à son fils, Pierre, assassiné le 21 novembre 2006. Malgré ce revers électoral, Amine Gemayel continue de plaider pour un Liban pluraliste, démocratique et ouvert sur le monde.
C. C. Christian Chesnot - Le Liban a traversé une grave crise en mai dernier, lors du coup de force du Hezbollah contre la majorité du 14 mars. Quelles leçons tirez-vous de ces affrontements ?
Amine Gemayel - On aurait tort de ne voir dans ces événements qu'une affaire strictement libanaise. Pour dire les choses telles qu'elles sont, ce qui s'est passé en mai est dû à la stratégie globale du couple syro-iranien. Il ne fait pas l'ombre d'un doute que la branche militaire du Hezbollah est directement alignée sur la nomenklatura militaire iranienne. C'est le fond du problème. La situation au Liban, tant sur le plan politique que sur le plan sécuritaire, est désormais tributaire des relations entre l'Iran et l'Occident - relations qui fluctuent énormément en fonction des discussions liées à la question nucléaire.
Plus l'Iran est nerveux dans son bras de fer sur le dossier nucléaire, plus le Hezbollah se montre actif au Liban. Qui pourrait encore croire que l'armement massif et sophistiqué dont dispose cette organisation ne serait lié qu'à l'équilibre politique de la scène libanaise ? Il est évident que cet armement revêt une dimension stratégique régionale et même mondiale. Dès lors, je ne vois pas comment le nouveau gouvernement libanais pourrait régler le problème de l'armement du Hezbollah : même si ce dernier était prêt à faire preuve de bonne volonté, la décision dans ce domaine le dépasse.
C. C. - La majorité du 14 mars n'a-t-elle pas sous-estimé la puissance du Hezbollah en l'attaquant frontalement sur la question de son réseau de télécommunications, un sujet très sensible pour lui ?
A. G. - Personne ne se faisait d'illusions à propos du rapport de force sur le terrain. Tout le monde savait bien que l'État libanais, dans toutes ses composantes, n'était pas capable de se confronter à l'armement du Hezbollah ! Quant au gouvernement, il ne souhaitait en aucun cas un conflit militaire avec ce mouvement. En contestant au Hezbollah le droit d'avoir son propre réseau de télécommunications, les dirigeants libanais ont adopté une décision de principe. Mais, de toute façon, même si le pouvoir politique n'avait rien fait, le Hezbollah aurait trouvé un autre prétexte pour déclencher des manoeuvres militaires à Beyrouth.
Le déclenchement des opérations militaires était motivé par le souhait du Hezbollah de redéployer ses forces sur le terrain, bien plus que par sa volonté de « sanctionner » telle ou telle décision gouvernementale. Le coup de force de Beyrouth était peut-être une opération punitive contre les sunnites - une option que le Hezbollah avait auparavant présentée comme étant une ligne rouge infranchissable. Un temps, ses responsables avaient affirmé que pour rien au monde ils ne souhaitaient entamer une guerre sunno-chiite qui ternirait la réputation de leur mouvement. Le Hezbollah a donc brisé un tabou et lancé aux sunnites un message très clair : « Maintenant, tenez-vous tranquilles ! »
Il reste que l'affaire qui s'est déroulée au même moment dans le Chouf, bastion des druzes, était autrement plus grave. Il ne s'agissait …