Les Grands de ce monde s'expriment dans

LE PRINTEMPS DES AUTOCRATES

Dans une série de conférences intitulées « Avertissement à l'Occident », Alexandre Soljenitsyne expliquait en 1976 à un public américain pourquoi les démocraties occidentales étaient mal armées face à l'URSS (1). Il évoquait la difficulté de comprendre un régime profondément différent, la légèreté avec laquelle les menaces soviétiques étaient ignorées, et les faiblesses du système capitaliste, qui participait à la traque des opposants en vendant à Moscou du matériel d'écoute sophistiqué. Dans les années 1990, ce texte n'intéressait plus grand monde. Vingt ans plus tard, cependant, il mériterait d'être relu avec attention. La myopie occidentale sur les projets de Moscou, pourtant annoncés au grand jour, la complaisance à l'égard de Pékin, dont les taux de croissance fascinent, l'incapacité de tenir un langage de fermeté face aux activités nucléaires de Téhéran, apportent une fois de plus la démonstration de l'incurable faiblesse des démocraties libérales face aux régimes autoritaires. Les États-Unis continuent sans doute à façonner le monde, mais les pays dont les ambitions progressent le plus rapidement en 2008 ne sont pas les vainqueurs de la confrontation Est-Ouest. Ce sont la Russie, qui veut rejouer les cartes de 1989 ; la Chine, convaincue d'être la grande puissance du xxie siècle ; et l'Iran, qui prédit la fin de l'Occident et le retour de l'islam sur la scène internationale (2).
Ces ambitions ne sont pas nécessairement compatibles entre elles - la compétition russo-chinoise est déjà perceptible en Asie centrale -, mais elles forment un contraste saisissant avec la crise de confiance d'un monde occidental qui semble prêt à reconnaître son propre effacement. La victoire de 1989 a peut-être été aussi décisive qu'elle aura été brève. On ne le sait que trop : il n'est guère de situation critique qu'un homme habile ne sache tourner à son avantage, ni de situation avantageuse qu'un imprudent ne puisse rapidement changer en défaite.
La revanche de Moscou
Les années 1990 ont offert aux Russes et au reste du monde l'image d'un effondrement. Pour la première fois dans l'Histoire, un empire disparaissait en l'absence de tout conflit armé, comme miné de l'intérieur. La perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev, plus qu'un changement de politique, était une reconnaissance de la faillite du système soviétique, dont Boris Eltsine a tiré les conséquences ultimes en dissolvant l'empire. Mais Vladimir Poutine lui a succédé en 2000 et, le prix du baril de pétrole aidant (3), Moscou s'est progressivement refait une santé. Parallèlement, la rhétorique à l'égard des pays occidentaux est devenue moins amène, le pays a viré violemment à droite (4), et le président Poutine a fini par exprimer le fond de sa pensée en déclarant en 2005 à Munich que « la plus grande catastrophe géopolitique du xxe siècle [était] la dissolution de l'URSS ». Cet aveu en disait suffisamment long sur le projet politique du Kremlin. Mais le monde occidental ne prend toujours pas Moscou au sérieux. S'il le faisait, il devrait - horribile dictu - adopter une politique de rapport de force. Or il y a bien longtemps qu'on ignore …