L'Europe, ou la paix par l'intégration économique et monétaire
La construction européenne incarne, de manière emblématique, un acte d'espérance - je dirais presque un acte de foi - dans la paix. Elle est la réponse, on le sait, au traumatisme issu des déchirures survenues au cours de siècles de luttes, de guerres qualifiées de « fratricides » qui ont culminé avec les deux conflits mondiaux. Elle a voulu rendre ces déchirures indignes, voire illégales, et insuffler la conscience d'une fraternité entre les peuples européens.
Les premiers projets de construction européenne - ceux de l'abbé de Saint-Pierre ou de Kant, par exemple -, de nature principalement politique, ont très tôt défini celle-ci comme un antidote au conflit, comme un refus de la guerre. Les pères fondateurs de l'Union européenne ont eu, eux aussi, pour objectif, à l'instar de Kant, de faire en sorte que la guerre devienne « non seulement impensable, mais matériellement impossible ». Conscients, toutefois, que la construction d'une Europe politique était aléatoire et sans doute prématurée, ils ont choisi de privilégier les avancées de l'intégration économique, certains que l'Europe se ferait « par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait », selon l'expression de Robert Schuman (1). Depuis la naissance du Marché commun, cette logique fonctionnaliste met l'économie au service d'un but éminemment politique, et même moral : rendre irréversible la réconciliation entre les peuples européens. La création de la monnaie unique s'est pleinement inscrite dans cette vision. Dans le contexte spécifique de l'unification allemande, l'un des pères de l'euro, Helmut Kohl, a présenté la réalisation de l'Union monétaire comme une condition de « la paix pour le xxie siècle ».
À l'origine de l'Union monétaire, il y avait cette conscience que l'évolution erratique des taux de change des monnaies menace la prospérité de pays déjà très intégrés économiquement, et qu'elle peut être source de difficultés et d'instabilité politique. C'est bien, d'ailleurs, …