Les Grands de ce monde s'expriment dans

L'EUROPE FACE A LA CRISE

Premier ministre et ministre des Finances du Luxembourg, Jean-Claude Juncker ne dirige certes pas le pays le plus puissant de l'Union européenne (UE). Mais son influence personnelle parmi les vingt-sept États membres est, sans conteste, inversement proportionnelle à la superficie du Grand-Duché...Cet homme à la silhouette d'éternel étudiant, qui carbure au café noir et au tabac, connaît tous les arcanes de la politique bruxelloise pour avoir participé en tant que ministre (du Travail, des Affaires sociales, puis des Finances) à des centaines, voire des milliers de réunions européennes et pour avoir aussi, en tant que premier ministre, présidé l'UE. À cinquante-trois ans seulement, il est le doyen du Conseil européen des chefs d'État et de gouvernement !
Il parle couramment le français, l'allemand et l'anglais, tutoie les plus influents dirigeants de la planète, préside depuis le 1er janvier 2005 l'Eurogroupe qui rassemble les pays de la zone euro (il vient d'ailleurs d'être réélu pour la troisième fois à ce poste), est gouverneur du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Bref, il ne cumule que des fonctions de premier plan.
Artisan inlassable de la construction européenne, titulaire du prestigieux « prix Charlemagne » décerné chaque année à Aix-la-Chapelle, Jean-Claude Juncker - qu'on surnomme parfois « l'inoxydable » - appartient à la mouvance chrétienne sociale depuis toujours. Il fait, en tout cas, figure de dernier « monstre sacré » de la construction européenne. Il répond à nos questions dans son vaste bureau moderne de la rue de la Congrégation, à Luxembourg, où résonnent tous les quarts d'heure les carillons de la cathédrale toute proche...
B. B.

Baudouin Bollaert - Depuis plus d'un an, l'affaire des subprimes n'en finit pas de secouer le système financier international. Combien de temps peuvent durer les répliques du séisme ?
Jean-Claude Juncker - Ce n'est pas une crise ordinaire. Pour reprendre les termes de l'ex-président de la Réserve fédérale (la FED), Alan Greenspan, il s'agit d'un tremblement de terre qui n'arrive qu'une ou deux fois par siècle. Même si je ne partage pas toujours ses opinions et même si ses jugements sont parfois excessifs ou surexploités, il faut en tenir compte... Cette crise met à nu les faiblesses de notre système économique. Le goût de l'argent facile, le désir de vouloir tout gagner tout de suite (c'est-à-dire hier soir !), l'aveuglement devant les risques évidents qui sont propres à toute entreprise humaine, la volonté absolue d'ignorer certaines fragilités, l'opacité du système acceptée de façon collective : tous ces excès mènent à des dérapages de ce type.
B. B. - Vous considérez donc que les banques d'affaires et autres établissements de crédit ont agi de façon irresponsable. Mais, selon vous, le système financier lui-même est-il pourri ?
J.-C. J. - Le système est pourri dans la mesure où il accepte que des risques soient pris sans être au préalable évalués sérieusement. Le système manque d'autorégulation et de retenue dans ses ambitions. D'où une débandade sans bornes et des dérapages sans fin.
B. B. - À intervalles plus ou moins réguliers, les banques centrales doivent intervenir pour injecter massivement des liquidités afin de permettre aux banques de se prêter de l'argent entre elles et d'éviter l'assèchement du crédit. N'est-ce pas un encouragement au laxisme ?
J.-C. J. - Non, je crois qu'il s'agit d'abord et avant tout du bon exercice d'un noble métier. Les banques centrales n'ont pas le temps de se lancer dans des considérations morales puisqu'elles doivent agir vite pour que le système puisse continuer à tourner malgré lui. J'applaudis, par conséquent, des deux mains aux initiatives des deux grandes banques centrales, surtout de la Banque centrale européenne (BCE). Imaginez un seul instant qu'elle n'existe pas : nous serions là, dans la zone euro, avec un alignement de quinze banques centrales nationales... Quels n'auraient pas été les désordres ! Quelles n'auraient pas été les contradictions, voire les conflits, entre les différentes autorités nationales ! Le fait qu'il y ait une autorité monétaire centrale pour l'Europe, donc une discipline commune acceptée par tous et une gestion des liquidités intelligemment organisée, voilà un argument supplémentaire qui plaide en faveur de la monnaie unique. Déjà, au cours des dix dernières années qui ont été marquées par des événements aussi variés que les attentats du 11 Septembre, la guerre en Irak, la crise iranienne, le renchérissement du prix du pétrole ou le double « non » français et néerlandais au traité constitutionnel, l'euro nous a évité bien des chocs monétaires... Je n'ose imaginer la situation s'il n'avait pas existé !
B. B. - Que pensez-vous des mises sous tutelle opérées par le gouvernement britannique (Northern …