Les Grands de ce monde s'expriment dans

PAROLES D'UN SAGE

Politique Internationale - M. Wiesel, notre Revue existe depuis 1978. Cette année-là, le 17 septembre, Anouar el-Sadate et Menahem Begin signaient à Camp David, sous les auspices du président américain Jimmy Carter, les premiers accords israélo-arabes. Une avancée qui allait être couronnée par le prix Nobel de la paix pour les leaders israélien et égyptien. Trente ans plus tard, la paix dans la région est-elle, à vos yeux, une perspective plus proche ou plus éloignée ?
Élie Wiesel - J'étais présent, le 13 septembre 1993, à la Maison Blanche. J'ai observé de près le premier ministre Itzhak Rabin serrant la main du chef terroriste Yasser Arafat d'un air hésitant, embarrassé. Comme tout le monde, j'étais ému. Je me disais : l'Histoire ne manque donc pas d'imagination. Finies les guerres sanglantes qui ont duré trente ans... Mais, trop naïf, mon optimisme s'avéra précoce et mal fondé. Les accords d'Oslo - trop hâtifs ? - étaient condamnés d'avance.
P. I. - Certes, mais aujourd'hui?
E. W. - Je crois toujours la paix possible, ne serait-ce que parce qu'elle est de plus en plus nécessaire. Mais si on veut l'atteindre, il faut qu'Abbas devienne plus fort face au Hamas. Israël fait tout son possible pour cela; à la communauté internationale d'en faire autant !
P. I. - Selon vous, quel est le poids des individualités dans les grands processus politiques? Pensez-vous que si d'autres hommes s'étaient trouvés au pouvoir au cours des dernières décennies, la situation au Moyen-Orient aurait pu évoluer vers une paix stable ? N'estimez-vous pas, à l'inverse, que les dirigeants politiques ne peuvent qu'accompagner des processus qui les dépassent largement ?
E. W. - Les individus, en agissant sur les événements, ont sans doute leur rôle à jouer. Sans Churchill et ses relations spéciales avec Roosevelt, la Seconde Guerre mondiale aurait-elle connu le même parcours ? Le destin des nations est souvent façonné ou, du moins, inspiré par celui des hommes. Les anti-communistes les plus farouches reconnaissent que sans Staline, dont la cruauté fera frémir des générations, l'Armée rouge aurait remporté des victoires moins glorieuses.
P. I. - Parlons, précisément, des individus au pouvoir. Sadate a payé de sa vie son rapprochement avec Israël. L'avez-vous rencontré personnellement ? Quelle sorte d'homme était-il ?
E. W. - Je n'ai pas eu l'occasion de rencontrer Sadate. Mais, là encore, je l'ai vu à la cérémonie solennelle marquant la fin des hostilités entre l'Égypte et Israël. Il y avait Jimmy Carter et Menahem Begin. Le trio rayonnait de bonheur. La Maison Blanche jubilait. La fille de Sadate, Camille, suivait mes cours à l'Université de Boston. Elle m'a beaucoup parlé de son père. En fait, j'aurais pu le rencontrer. Il m'avait fait parvenir, par l'entremise d'un haut fonctionnaire américain, une invitation personnelle. Golda Meir s'y est opposée. Elle disait : s'il souhaite voir un Juif pour parler de ses relations avec nous, qu'il s'adresse directement à nous !
P. I. - Y a-t-il eu, et y a-t-il aujourd'hui, des leaders arabes d'une stature comparable …