Entretien avec
David Pryce-Jones
par
Thomas Hofnung, chef de rubrique au site The Conversation.
n° 121 - Automne 2008
Thomas Hofnung - L'élection de Nicolas Sarkozy à l'Élysée a marqué un tournant dans la manière d'appréhender les problèmes du Proche-Orient. En particulier, son discours à la Knesset du 23 juin dernier a apporté la preuve d'un rééquilibrage de la diplomatie française en faveur de l'État d'Israël. Parviendra-t-il, selon vous, à triompher des pesanteurs pro-arabes du Quai d'Orsay ? David Pryce-Jones - Les jeux ne sont pas faits. Si le chef de l'État a multiplié, au cours des derniers mois, les déplacements - en Tunisie, en Libye ou en Algérie - c'est bien pour tenter de maintenir le cap de la politique française. Toutefois, je note un changement intéressant : contrairement à ses prédécesseurs qui, depuis Charles de Gaulle, n'ont eu de cesse, vis-à-vis d'Israël, d'adopter une politique de distanciation, Nicolas Sarkozy, lui, a de la sympathie pour l'État hébreu. Les Israéliens ont désormais le sentiment que la France peut les écouter, et que Paris va participer au processus de paix de manière beaucoup plus constructive que par le passé. T. H. - À vos yeux, la France jouera-t-elle toujours un rôle important dans la région ? D. P.-J. - J'en suis convaincu. Par tradition, elle participe aux affaires du Moyen-Orient. Elle y a beaucoup d'amis, et de l'influence. Mais pour que cette influence se traduise en actes, elle devait rapidement changer de cap. Depuis de trop longues années, son rôle consistait surtout à s'opposer aux diverses initiatives diplomatiques. C'était une attitude incompréhensible, car, en agissant de la sorte, elle se mettait en dehors du coup. La France doit, au contraire, s'efforcer de créer une atmosphère de partenariat. Le Quai d'Orsay a régulièrement évoqué l'idée d'un tel partenariat au Proche-Orient,; mais, dans les faits, celui-ci excluait Israël. Vos diplomates ont tendance à considérer le monde arabe comme l'aire d'expansion naturelle de la France. T. H. - En quoi et comment la France, avant Nicolas Sarkozy, s'opposait-elle aux initiatives de paix au Proche-Orient ? D. P.-J. - Depuis de Gaulle, la France s'était toujours rangée du côté des dictateurs. En 1978, elle a pris position contre les accords de Camp David entre Sadate et Begin et, en 1993, contre les accords d'Oslo entre Rabin et Arafat. Plus près de nous, l'engagement de Jacques Chirac en faveur de Saddam Hussein aux Nations unies a rendu la guerre quasi inéluctable. Tout cela est lié à une vision fantasmatique des États-Unis. T. H. - Vous écrivez, dans votre dernier ouvrage (1), que la diplomatie française n'a jamais cru fondamentalement en l'État d'Israël... D. P.-J. - Pendant un siècle, la France a considéré que le sionisme allait à l'encontre de ses intérêts non seulement au Liban et en Syrie, mais aussi en Afrique du Nord. Du coup, elle a tout fait pour entraver le développement de l'État d'Israël, y compris - je viens d'en parler - en soutenant ouvertement les régimes les moins démocratiques de la région. Je vais vous faire une confidence : certains de mes amis diplomates français n'osent même pas exprimer en public leur sympathie pour Israël, car ils craignent d'être sanctionnés ! Il est étonnant de voir à quel point le Quai d'Orsay a du mal à évoluer. Comment expliquer que cette approche erronée du sionisme se perpétue de génération en génération, au sein d'une structure composée de gens pourtant compétents et intelligents ? C'est dommage, car la France pourrait être en mesure de jouer au Proche-Orient un rôle beaucoup plus important que celui de la Grande-Bretagne. Du fait - je le répète - de ses bonnes relations avec les Arabes. T. H. - Il y a soixante ans, la France avait pourtant voté en faveur de la création de l'État d'Israël à l'ONU, alors que la Grande-Bretagne, elle, s'était abstenue. Existe-t-il une tradition antisioniste en Angleterre, comparable à celle que vous pointez du doigt en France ? D. P.-J. - Non. Certains diplomates britanniques se sont opposés au sionisme, mais ils représentaient une petite minorité. Ceux qui, dans la pratique, ont façonné la politique britannique dans le sillage de Lord Balfour étaient ouvertement sionistes. Au sein du Foreign Office, les antisionistes ont été discrédités en raison de leur pro-arabisme forcené. Il est vrai qu'en Grande-Bretagne l'opinion a été profondément choquée par les crimes commis contre les Juifs dans les années 1930 et 1940 et que Winston Churchill a beaucoup oeuvré en faveur de la création d'Israël. T. H. - Sous la ive République, la coopération franco-israélienne, notamment sur le plan militaire, a pourtant été très active... D. P.-J. - Absolument. Mais cette parenthèse s'explique, avant tout, par les divergences qui existaient à l'époque au sein du pouvoir exécutif : le Quai d'Orsay et le ministère de la Défense (2) étaient alors en conflit ouvert. En règle générale, la diplomatie française a souvent agi à courte vue, indépendamment de toute considération morale. Or, encore une fois, au Proche-Orient, une vision à long terme implique de promouvoir un partenariat avec les pays arabes en y associant Israël. Dans le cas contraire, aucune paix n'est à espérer dans cette région du monde. Les dirigeants de la ive République l'avaient bien compris. T. H. - Le sionisme, dites-vous, incarne la morale. Mais que faites-vous des Palestiniens qui ont dû fuir leurs terres pour se réfugier dans des camps en 1948 ? D. P.-J. - Les Palestiniens ont commis une erreur magistrale en recourant à la violence. Regardez où ils en sont aujourd'hui ! Avant l'indépendance d'Israël, en 1948, les Britanniques ont tenté, en vain, de désamorcer le conflit en Palestine en essayant d'imposer des institutions conformes à leurs vues, notamment des conseils municipaux mixtes. Ils se sont heurtés au grand Mufti de Jérusalem. Aujourd'hui, la solution de deux États coexistant pacifiquement est la seule qui soit viable. Mais elle ne peut pas être mise en oeuvre dans le fracas des armes. T. H. - L'échec du processus de paix est-il uniquement imputable aux Palestiniens ? La poursuite de la colonisation par les Israéliens n'est-elle pas, elle aussi, une erreur ? D. P.-J. - Au …
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