Entretien avec
Mohammed Raad
par
Christian Chesnot, correspondant à Amman de Radio France Internationale, du magazine Le Point et du quotidien suisse La Tribune de Genève
n° 121 - Automne 2008
Christian Chesnot - Quelle analyse faites-vous de la crise de mai dernier, qui a vu le Hezbollah prendre le contrôle de Beyrouth en 48 heures ? Mohammed Raad - Si cette crise a éclaté en mai dernier, elle avait, en réalité, commencé depuis le 11 novembre 2006. Ce jour-là, les six ministres issus de la minorité parlementaire ont rendu leur portefeuille pour protester contre le comportement de l'équipe majoritaire au gouvernement de l'époque, qui travaillait la main dans la main avec l'agresseur sioniste et américain. Par surcroît, cette équipe, dite « du 14 mars », gouvernait le pays selon la vision occidentale de la démocratie - une vision fondée sur la domination de la majorité. Or cette conception politique est contraire à la Constitution libanaise. Constitutionnellement, en effet, la règle de la majorité ne s'applique, dans notre pays, que pour gérer les affaires mineures. Pas pour les grandes décisions nationales. Pour celles-ci, c'est la règle du consensus qui s'impose. Mais l'équipe majoritaire voulait coûte que coûte continuer à prendre toutes les décisions seule, sans consulter l'opposition... y compris sur des questions décisives pour l'avenir du Liban. C. C. - Le mouvement du 14 mars estime que le Hezbollah doit déposer les armes... M. R. - La guerre de juillet 2006 est intervenue après un dialogue national entre toutes les parties libanaises. Nous avons compris que le but essentiel de ce dialogue était de convaincre le Hezbollah de se transformer en parti politique classique et, donc, d'accepter d'être désarmé. Ce calcul a échoué. Notre position à nous était parfaitement claire. Voici ce que nous avons dit : nous discuterons du désarmement du Hezbollah dès l'instant où nous serons certains que le pays dispose de sa propre stratégie de défense nationale, c'est-à-dire que l'État est véritablement capable de protéger ses citoyens et son territoire. La majorité a estimé que cette proposition ne correspondait pas à son projet. Quoi qu'il en soit, ce qui a fait éclater la crise en mai, c'est la décision stupide qu'a prise le gouvernement en décidant de s'attaquer au réseau logistique de la résistance. Il ne s'agissait pas seulement d'interdire à la résistance de posséder son propre réseau de communication interne ; le pouvoir voulait également traduire en justice les chefs de l'opposition : il a même envoyé au Conseil de sécurité de l'ONU une plainte les accusant d'avoir violé la souveraineté du pays ! Il s'agissait d'une nouvelle déclaration de guerre contre la résistance. Nous avons essayé d'apaiser les choses. En vain. C'est pourquoi nous avons voulu créer une pression populaire en demandant à nos partisans de se joindre aux cortèges d'un mouvement de protestation syndical prévu de longue date. Mais l'État a fait ouvrir le feu sur les manifestants et les syndicalistes avec l'aide des nervis des mouvements de la majorité. C. C. - Quels mouvements accusez-vous particulièrement ? M. R. - Nous avions des renseignements qui indiquaient que les milices du Courant du futur de Saad Hariri voulaient se déployer dans les rues. Même si leur entraînement n'était pas à la hauteur, ils avaient comme plan de contrôler tout Beyrouth-Ouest à l'exception de deux quartiers - Zoukak al Blat et Moussaytbé - où les chiites sont nombreux. Ils avaient également l'intention de couper la route stratégique conduisant à Khaldé au sud de l'aéroport de Beyrouth et celle de Rmaylé. Quand ils se sont attaqués aux manifestants et que les violences se sont répandues, nous avions deux choix : soit réagir rapidement pour faire avorter leur plan ; soit accepter que la situation s'aggrave progressivement et laisser s'installer des lignes de partage dans Beyrouth. Cette dernière option aurait créé beaucoup de dégâts et provoqué de nombreuses victimes. Nous avons donc pris la décision de réagir fort et vite. Notre priorité, c'était de faire en sorte qu'il y ait le moins de victimes possible. Et nous avons réussi ! Dès que nous prenions une position, nous la remettions à l'armée libanaise. Et nous avons rapidement retiré nos combattants de Beyrouth. Bien sûr, nous avons conservé des postes d'observation parce que nous craignions d'éventuelles réactions. Ensuite, les Américains, qui redoutaient de voir chuter le gouvernement de Fouad Siniora, ont poussé la Ligue arabe à intervenir. Et c'est ainsi que nous nous sommes tous retrouvés au Qatar pour signer l'accord de Doha (1). C. C. - Lors de ces affrontements, pour la première fois, la résistance a retourné ses armes contre des Libanais. C'est un précédent dangereux... M. R. - C'est exact. Mais notez bien que nous sommes restés dans le cadre de notre stratégie. Depuis les années 1990, puis après la mort de Rafic Hariri, nous avons toujours assuré que nos armes ne seront pas dirigées vers l'intérieur du Liban. Nous avons promis de ne jamais les utiliser pour obtenir des maroquins ministériels, pour décrocher des postes de directeurs généraux dans l'administration ou pour attirer des projets d'infrastructures dans nos régions. Et nous avons tenu parole. Je le répète : nos armes sont des armes de résistance. Mais tous ceux qui tenteront de nous affaiblir subiront une réaction de notre part. C'est le gouvernement qui a déclenché le combat contre la résistance. N'a-t-il pas affirmé qu'il souhaitait traduire Sayyed Hassan Nasrallah devant les tribunaux ? La résistance est donc directement visée. De notre point de vue, la crise de mai aura été le prolongement de la guerre que nous avons livrée aux sionistes en juillet 2006. C. C. - L'assassinat en février 2008 à Damas d'Imad Mughniyeh, le chef de la branche militaire du Hezbollah, dont les auteurs restent inconnus ; la pression contre votre réseau de télécommunication ; la découverte de caméras de surveillance à l'aéroport de Beyrouth... tous ces événements n'ont-ils pas créé, au sein du Hezbollah, un climat d'inquiétude qui expliquerait la réaction violente que vous avez eue lors de la crise de mai dernier ? M. R. - Il ne s'agit pas d'une question de peur ou d'inquiétude. Concernant la mort d'Imad Mughniyeh, je veux souligner que, en tant que résistants, nous savons les …
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