Les Grands de ce monde s'expriment dans

L'HOMME QUI VEUT SAUVER ROME

Entretien avec Gianni Alemanno par Richard Heuzé, correspondant de Politique Internationale en Italie

n° 121 - Automne 2008

Richard Heuzé - Le 28 avril dernier, vous avez été élu maire de Rome à une confortable majorité. À quoi attribuez-vous ce succès ? À votre charisme, aux idées de droite que vous professez, aux faiblesses de votre adversaire de gauche Francesco Rutelli ou à votre appartenance à la coalition de Silvio Berlusconi ?
Gianni Alemanno - Un succès électoral est toujours la résultante de plusieurs facteurs. S'agissant de mon élection à la mairie de Rome, le plus important était sans doute le besoin de changement. Après quinze ans de règne ininterrompu du centre gauche, les citoyens romains ont ressenti la nécessité de tourner la page. Ils aspiraient à une gestion plus sérieuse, plus concrète, inspirée par des valeurs de droite comme la légalité et la sécurité.
R. H. - Vous avez parlé de « victoire historique ». S'agit-il, selon vous, d'un événement purement local ou s'inscrit-il dans un contexte de reconquête de la droite à l'échelle européenne?
G. A. - Le basculement d'une capitale d'un camp politique dans un autre est un événement de portée nationale, voire internationale. Dans toutes les métropoles européennes, un vent de droite est en train de souffler. Partout, les citoyens ont envie d'une autre politique, plus attentive et qui épouse leurs préoccupations. Ma victoire est certainement à rapprocher de celle de Nicolas Sarkozy en France et de Boris Johnson à Londres. Les gens veulent un gouvernement plus moderne, plus pragmatique, à la hauteur des problèmes concrets qu'a fait surgir la mondialisation ; et, pour cette raison, il ne peut s'agir que d'un gouvernement enraciné dans les valeurs liées à l'identité nationale.
R. H. - Comment êtes-vous parvenu à concilier votre image actuelle de jeune politicien « battant » avec votre passé de secrétaire des Jeunesses néo-fascistes et avec vos convictions d'extrême droite ? Est-ce au prix d'un maquillage ou d'un repentir politique?
G. A. - Je n'étais pas secrétaire des « Jeunesses fascistes » mais de l'organisation des jeunes d'un parti démocratique, représenté au Parlement et ancré dans les réalités locales de mon pays ; un parti qui n'était pas nostalgique et qui avait rompu avec le passé il y a des décennies, comme l'a fait, par exemple, le Parti populaire de José Maria Aznar en Espagne. Je n'ai pas non plus des « convictions d'extrême droite »: j'ai toujours déclaré être contre tous les totalitarismes, de droite comme de gauche. Le paysage politique italien a profondément évolué au cours de ces vingt dernières années. Ce changement, qui a d'ailleurs coïncidé avec l'entrée en scène de Silvio Berlusconi en 1994, a poussé tous les acteurs politiques à revoir leur posture intellectuelle. Cela vaut pour Gianfranco Fini, mais aussi pour plusieurs ex-démocrates-chrétiens qui ont abandonné leurs positions centristes pour s'allier au centre droit ou au centre gauche (1). Cela vaut évidemment pour des personnalités de gauche comme Massimo D'Alema et Walter Veltroni, qui ont dû rompre avec le communisme. Moi-même je me suis résolument engagé en faveur d'une droite démocratique et européenne.
R. H. - Vous avez déclaré que le fascisme présentait des « aspects positifs », même si son bilan est globalement négatif. Que vouliez-vous dire ? Y a-t-il encore une place pour l'idéologie fasciste ?
G. A. - Certains journaux et hommes politiques de gauche ont essayé de me salir en diffusant des interprétations volontairement erronées de certaines de mes déclarations. C'est également arrivé à Nicolas Sarkozy pendant la campagne présidentielle, quand la gauche l'appelait « Sarko-facho ». En réalité, ma pensée est très claire : le chapitre de l'idéologie fasciste est définitivement clos. Le fascisme appartient au moment historique des totalitarismes, qui a vu naître quasi simultanément le communisme en Russie, le fascisme en Italie et le nazisme en Allemagne, ainsi qu'un grand nombre de mouvements similaires, de droite comme de gauche, dans l'Europe entière. Avec les conséquences tragiques que l'on sait. Pour toutes ces raisons, je le condamne d'une façon nette et irrévocable.
R. H. - Vous appelez néanmoins à réécrire les manuels d'histoire (dont le tort, selon vous, est de passer sous silence les faits d'armes de la République de Salò (2)) et à réviser les grands procès attribués aux terroristes de droite, à commencer par celui de la gare de Bologne, dans lequel vous voyez la main du terrorisme palestinien. Est-ce l'amorce d'un révisionnisme ?
G. A. - La droite est opposée à toute forme de révisionnisme, si l'on entend par là une façon d'atténuer la condamnation des totalitarismes et d'occulter la mémoire collective. Il n'est donc pas question de procéder à une relecture du fascisme et de la République sociale italienne. Mais il reste une question à laquelle les historiens n'ont pas répondu : comment et pourquoi des gens sont morts en toute bonne foi en combattant du mauvais côté ? C'est une réalité qui a été reconnue par d'éminents représentants de la gauche comme Luciano Violante, ex-président du Sénat et ex-communiste. En ce qui concerne l'attentat de Bologne du 2 août 1980, qui a fait 85 morts et 200 blessés, et pour lequel deux extrémistes de droite ont été condamnés, on a récemment découvert plusieurs éléments qui tendent à prouver que les autorités italiennes ont sciemment choisi de ne pas explorer la piste palestinienne. Sans doute parce que le préjugé idéologique était trop fort : ce massacre devait « forcément » être attribué à l'extrémisme de droite. À maintes reprises, pourtant, l'ancien chef de l'État Francesco Cossiga a affirmé que la piste de droite était seulement une hypothèse, et que les condamnations ont été le résultat d'un procès politico-judiciaire. C'est ce même Cossiga qui, ces dernières années, a établi un lien entre cet horrible attentat, le terrorisme palestinien et les accords secrets qui avaient été signés par l'Italie, après l'attentat du 17 décembre 1973 à Fiumicino (3), avec la direction palestinienne, en particulier le FPLP de Georges Habbache.
R. H. - Depuis le début de votre mandat de maire, vous avez surtout mis l'accent sur la répression de la délinquance et sur la sécurité : réarmement de …