Entretien avec
Angela Merkel, Chancelière de la République fédérale d'Allemagne depuis 2005.
par
Martina Fietz
et
Wolfram Weimer
n° 122 - Hiver 2009
Martina Fietz et Wolfram Weimer - Mme Merkel, vous avez prévenu vos compatriotes : à la suite de la crise financière, l'année 2009 risque d'être difficile. Les jours « gras » de l'Allemagne sont-ils révolus ? Angela Merkel - Même s'il est encore trop tôt pour évaluer toutes les conséquences que ces événements auront sur l'économie mondiale, chacun doit prendre conscience du fait que la crise est vraiment profonde. Dans de telles circonstances, l'État devra jouer, vous vous en doutez, tout son rôle et contribuer à amortir le choc que subit la population. Mais ne croyez surtout pas que 2008 aura été la dernière année au cours de laquelle l'Allemagne s'est bien portée ! Dans l'avenir, aussi, l'économie connaîtra des hauts et des bas. Le gouvernement fédéral a vite réagi : nous avons adopté un paquet de mesures visant à stabiliser le marché financier et un autre destiné à améliorer la conjoncture générale - et, particulièrement, à soutenir le marché du travail. Notre objectif est de consolider l'économie afin qu'elle reparte vers le haut dès 2010. M. F. et W. W. - Est-ce à dire que la situation ne serait pas aussi grave qu'on le prétend ? A. M. - Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit ! La crise financière mondiale est un énorme défi. Ne serait-ce que parce que nous devons être capables d'endiguer les excès des marchés tout en continuant à promouvoir les principes de l'économie sociale de marché (1) - des principes qui, de mon point de vue, doivent s'imposer à l'échelle mondiale. Et tout cela, bien sûr, sans renoncer à défendre nos idéaux démocratiques ainsi que les valeurs de liberté et de responsabilité qui nous sont chères. La liberté des marchés a besoin d'un cadre clair. Ce qui est sûr, c'est que c'est à nous, Allemands, qu'il appartient de convaincre les autres pays de l'intérêt de cette économie sociale de marché qui inspire notre action... M. F. et W. W. - À quels pays songez-vous en particulier ? A. M. - En fait, l'économie sociale de marché peut aider les hommes partout sur la planète. M. F. et W. W. - Est-ce au nom de cette économie sociale de marché que vous n'avez pas suivi ceux qui, pour endiguer la propagation de la crise économique actuelle, vous ont recommandé de procéder à des baisses d'impôts et de lancer des programmes conjoncturels supplémentaires ? A. M. - Il est évident que nous ne pouvons pas nous permettre d'augmenter de manière irresponsable l'endettement de l'État. La population de l'Allemagne, comme celle de toute l'Europe, est dans l'ensemble en train de vieillir. Gérer le vieillissement démographique de la meilleure manière sera l'une des grandes tâches des années à venir. Nous y serons particulièrement confrontés dans le milieu de la prochaine décennie. Le gouvernement fédéral a déjà réussi à faire baisser la dette de l'État. Mais, dans le futur, la dette sera remboursée par toujours moins d'individus. La charge qui pèsera sur chaque individu sera donc plus lourde. Si nous ne voulons pas que nos citoyens les plus performants - sur lesquels pèseront précisément les charges les plus considérables - quittent le pays, nous devons dès aujourd'hui prendre des décisions claires. Concrètement, nous devons décider des dépenses que l'État va continuer d'engager ou, au contraire, abandonner, dans des domaines comme l'emploi, la formation continue, les commandes étatiques ou l'appui à la compétitivité de nos entreprises au niveau mondial. M. F. et W. W. - Ne doit-on pas, dans une telle crise, rassembler toutes les compétences ? Par exemple, n'auriez-vous pas dû empêcher la retraite politique de Friedrich Merz, l'ancien chef du groupe parlementaire de la CDU, qui est au sein de votre parti l'un des hommes les plus respectés pour ses compétences économiques ? A. M. - Friedrich Merz a annoncé qu'il se retirait de la politique. Nous avons respecté cette décision. M. F. et W. W. - On célèbre cette année le vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin. En vingt ans, avez-vous cessé de vous sentir est-allemande ? A. M. - Je ne me pose pas du tout la question au quotidien, même si je n'oublie pas d'où je viens. Mes concitoyens ont suffisamment de problèmes pour que j'y consacre tout mon temps ! Il n'empêche qu'il subsiste à certains endroits ce que je définirais comme une « atmosphère de l'Est », que je ressens toujours immédiatement... M. F. et W. W. - Pouvez-vous préciser ? A. M. - Il y aura toujours des choses qui me rappelleront l'Est et ma maison dans l'Uckermark (c'est une région au nord de Berlin), parce qu'elles n'apparaissent que là. Ce sont des constructions spécifiques, des meubles, des rideaux, des étoffes, des matériaux très particuliers... M. F. et W. W. - La réunification est-elle totalement achevée ? L'unité du pays est-elle atteinte ? Dans quels domaines faut-il encore progresser ? A. M. - D'un point de vue économique, il est indéniable que des différences structurelles notables subsistent. Le taux de chômage est à peu près deux fois plus élevé dans les nouveaux Länder fédéraux que dans les anciens. Les rentrées d'impôts y sont significativement plus réduites. Naturellement, ces divergences s'amenuisent, mais bien des efforts seront encore nécessaires, pendant quelques années et sur l'ensemble du territoire. Au niveau psychologique, je pense qu'il faut distinguer mentalement les plus âgés et les plus jeunes. Ces derniers ont grandi dans une Allemagne unifiée et croient en leurs chances dans ce pays. En revanche, ceux qui avaient déjà terminé leurs études lors de la chute du Mur - et a fortiori ceux qui étaient encore plus âgés à ce moment-là - ont de plus grosses difficultés à trouver leur juste place dans l'Allemagne unifiée. Certains regrettent la disparition de la RDA et cette époque où l'État était très présent. Ils se replient sur eux-mêmes ou ne se mêlent qu'aux personnes qui ont la même expérience qu'eux. Nous devons aussi nous tenir aux côtés de ces gens. M. F. et W. …
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