Les Grands de ce monde s'expriment dans

LA PASSION DE L'EUROPE

Entretien avec José manuel Barroso, Président de la Commission européenne. par Baudouin Bollaert, ancien rédacteur en chef au Figaro, maître de conférences à l'Institut catholique de Paris

n° 122 - Hiver 2009

Baudouin Bollaert - Barack Obama a pris ses fonctions fin janvier. Que pensez-vous du nouveau président américain ?
José Manuel Barroso - Lors de notre premier entretien téléphonique, il m'a déclaré être « un fervent partisan de l'intégration européenne » ! Des paroles très aimables, vous en conviendrez... Le président Obama m'a également félicité pour le rôle moteur joué par l'Union en général et la Commission en particulier dans la lutte contre le changement climatique. Sa priorité sera justement de travailler sur le climat et l'énergie avec nous. Notre premier contact a donc été très cordial. Mais il demande, bien sûr, à être approfondi.
B. B. - Et l'homme, comment vous apparaît-il ? L'«Obamania » peut-elle durer ?
J. M. B. - Nous sommes devant un véritable cas de leadership charismatique. Je le dis en pesant mes mots car, aujourd'hui, on utilise le mot « charisme » d'une façon qui ne correspond pas toujours à la bonne définition. Barack Obama est doté d'un pouvoir d'attraction qui va bien au-delà d'une bonne communication ou d'un bon marketing. Il suscite d'emblée l'adhésion. Son aura personnelle donne envie aux gens de le suivre. Je vous parle ici à titre personnel, comme quelqu'un qui analyse depuis longtemps la sphère politique et connaît les principaux dirigeants de la planète. L'avènement de Barack Obama constitue une réelle occasion pour l'Amérique et pour les autres pays. Une page a été tournée aux États-Unis avec son élection à la Maison Blanche. Une page va peut-être aussi se tourner pour le reste du monde...
B. B. - Le président Obama n'incarne-t-il pas une nouvelle génération de dirigeants américains largement déconnectés des influences et des préoccupations européennes ?
J. M. B. - L'important est qu'il soit, de par ses origines, sa vie et ses études, ouvert sur le monde. Je serais inquiet s'il avait une vision nationaliste ou chauvine des choses... Comme vous le savez, l'isolationnisme a une longue tradition chez les Américains. La mondialisation a d'ailleurs renforcé aux États-Unis, comme dans un certain nombre de pays, la tendance au repli sur soi. Mais Barack Obama n'est pas isolationniste. Il n'appartient pas à ce courant de pensée. Son ouverture sur le monde lui désigne obligatoirement l'Europe comme un partenaire privilégié. Et, quand il me dit être « un fervent partisan de l'intégration européenne », je l'interprète comme un bon présage. Ce n'est pas seulement un élément de langage soufflé par le Département d'État... Il y croit.
B. B. - Dans un discours resté fameux, un autre président démocrate, Bill Clinton, avait parlé des États-Unis comme de la « nation indispensable ». La formule est-elle toujours d'actualité ?
J. M. B. - Bien sûr, c'est évident. Les États-Unis demeurent la première puissance mondiale. Je ne suis pas naïf au point de croire que les Américains vont régler tous les problèmes de la planète ; mais, sans les Américains, ces problèmes n'ont aucune chance d'être résolus. Qu'il s'agisse de la paix, des droits de l'homme, de la crise économico-financière ou du changement climatique, leur rôle est essentiel. Je suis personnellement très attaché à un rapport transatlantique fort.
B. B. - Voulez-vous dire par là que, face à de grands pays émergents comme l'Inde ou la Chine, vous croyez davantage à la pertinence d'un pôle euro-atlantique qu'à celle d'un pôle simplement européen ?
J. M. B. - Il est indispensable, d'abord, d'avoir un pôle européen pour défendre nos valeurs et nos intérêts. Mais ce n'est pas suffisant. L'Amérique - malgré de nombreux points de divergence - reste notre allié naturel. Nous partageons fondamentalement les mêmes principes. Je ne vois pas pourquoi il faudrait nier cette convergence... Certes, le lien transatlantique n'est pas exclusif. Notre rapport ne doit pas se faire contre les autres ; il doit inclure les autres. Néanmoins, lorsqu'on parle démocratie, régulation des marchés financiers, commerce international ou sécurité et défense, il est quand même plus facile de s'entendre avec nos alliés américains qu'avec des pays qui ont des systèmes politiques et économiques différents des nôtres !
B. B. - Des dirigeants européens - comme Angela Merkel - ont appelé de leurs voeux la création d'un grand marché transatlantique. Qu'en pensez-vous ?
J. M. B. - Sans vouloir entrer en compétition avec Mme Merkel ou d'autres dirigeants européens, je tiens à vous dire que la Commission soutenait déjà cette idée avant même que je ne sois nommé à sa tête, donc depuis fort longtemps ! Je l'ai reprise à mon compte et, sous présidence allemande, j'y ai travaillé avec la chancelière. Nous avons d'ailleurs lancé, George W. Bush, Angela Merkel et moi-même, le Transatlantic economic council qui se réunit régulièrement pour préparer l'établissement, à moyen terme, d'un espace économique commun. Du côté américain, c'est un représentant direct du chef de la Maison Blanche qui pilote le processus et, du côté européen, c'est l'un des vice-présidents de la Commission. Le projet avance dans la bonne direction.
B. B. - Vous avez cité George W. Bush. Quel bilan dressez-vous de son double mandat ?
J. M. B. - Il faut prendre un certain recul pour se livrer à ce genre d'exercice sans tomber dans la critique facile ou la partialité... Au-delà du 11 septembre 2001, la présidence Bush reste et restera marquée par l'intervention américaine en Irak. Les événements ne se sont pas déroulés comme prévu et il en est résulté une grave perte de prestige pour les États-Unis. C'est une donnée objective dont il faut tenir compte. Elle ne me réjouit pas dans la mesure où elle rejaillit négativement sur tous les pays occidentaux et fournit des arguments aux mouvements extrémistes de par le monde. Mais, pour être juste, je considère que le président Bush, lors de son deuxième mandat, a fait un gros effort en direction de l'Europe... La situation l'a contraint à se rapprocher de ses partenaires naturels, au point qu'il connaissait bien mieux que ses prédécesseurs les détails de la politique intérieure britannique, française ou allemande !
B. B. - À la crise irakienne, il faut ajouter la crise …