Entretien avec
Edward Nalbandian, Ministre des Affaires étrangères de la République d'Arménie depuis avril 2008.
par
la Rédaction de Politique Internationale
n° 122 - Hiver 2009
Politique Internationale - Monsieur Nalbandian, vous avez été nommé ministre des Affaires étrangères en avril 2008, après trente ans de travail à l'étranger. Comment voyez-vous le monde d'aujourd'hui à partir d'Erevan ? Et quelle est la place de l'Arménie dans ce monde ? Edward Nalbandian - À vrai dire, le monde est devenu tellement petit qu'il est difficile de séparer l'intérieur de l'extérieur ! Il est tout à fait impossible de vivre isolé sans voir ce qui se passe autour de soi. Ce constat vaut spécialement pour l'Arménie et, d'une manière plus générale, pour le Caucase du Sud. D'une part, cette région cherche à s'intégrer davantage au « grand monde » ; d'autre part, c'est le « grand monde » qui s'intéresse de plus en plus à nous. L'Arménie actuelle - que nous appelons la Troisième République, la première étant celle de la période 1918-1920 et la deuxième, qui faisait partie de l'URSS, celle de 1920-1991 - porte l'héritage des précédentes, avec toutes les conséquences qui en découlent. Elle aspire désormais à s'intégrer au maximum dans les processus planétaires en tant que partenaire prévisible et fiable. C'est pourquoi nous multiplions les coopérations au niveau bilatéral et jouons tout notre rôle dans le cadre des structures internationales, aussi bien européennes que régionales. Il faut savoir que, à l'heure où nous parlons, un tiers seulement de notre peuple réside en Arménie même. Les deux tiers de nos compatriotes sont disséminés dans plus de cent États de la planète. Parfaitement intégrés dans les sociétés des pays où ils habitent, les membres de la diaspora ont, pour la plupart, conservé la langue et les traditions de leurs ancêtres, ainsi qu'un lien spirituel - et pas seulement spirituel - avec la mère-patrie. Ils sont tous réunis par la volonté de voir réalisé le rêve de leurs parents et de leurs grands-parents : une Arménie prospère. Ces gens-là ont créé des dizaines de « petites Arménies » tout autour du globe. La place de l'Arménie dans le monde est donc également définie par l'ensemble de ces « Arménies ». P. I. - Quand vous dites que l'Arménie porte l'héritage des réalités précédentes, à quoi faites-vous référence exactement ? E. N. - Cet héritage se manifeste dans tout ce qui fait partie de la construction de l'État : le système politique et législatif, que nous avons rapidement réformé et que nous améliorons continuellement ; l'économie ; la situation sociale ; le système éducatif ; et, finalement, la société elle-même avec sa mentalité, ses habitudes et ses aspirations. Il se manifeste aussi, et surtout, dans les complexes questions politiques et de sécurité qui attendent encore leur solution. P. I. - Ces questions-là semblent avant tout liées à l'Arménie actuelle - à la Troisième République, comme vous dites... E. N. - Je ne voudrais pas me charger du rôle de l'historien, mais je vous rappelle qu'il est impossible de comprendre les réalités d'aujourd'hui si l'on n'étudie pas celles du passé. Par exemple, des questions comme celle du Haut-Karabagh ou celle des relations arméno-turques ne sont pas nouvelles : elles sont les conséquences directes de ce qui s'est produit entre la deuxième partie du XIXe et le début du XXe siècle. Les conséquences, en partie, de la révolution bolchevique. À l'époque soviétique, ces sujets étaient passés sous silence, à la fois pour des raisons idéologiques et parce qu'ils n'avaient pas leur place dans la logique de la guerre froide. Ce tabou n'a été levé qu'après l'effondrement de l'URSS - même si les autorités soviétiques ont dû tenir compte de l'avis du peuple arménien et ont autorisé l'édification à Erevan, dans les années 1960, d'un monument dédié aux victimes du génocide arménien. Quant à la décision d'annexer le Haut-Karabagh à l'Azerbaïdjan, elle a été prise en 1921, sur l'initiative de Staline, par le bureau caucasien du parti bolchevik, dans le but un peu étrange de répandre l'idéologie bolchevique dans le monde musulman de l'Orient. Pourtant, depuis des millénaires, le Haut-Karabagh était un territoire arménien peuplé d'Arméniens ! Je vous laisse juger de la légitimité et de la « rationalité » politique de ce rattachement... P. I. - Comment les Arméniens ont-ils réagi à l'incorporation du Haut-Karabagh à l'Azerbaïdjan ? E. N. - Les Arméniens n'ont jamais accepté cette injustice. Ils ont, à maintes reprises, saisi les autorités centrales soviétiques afin de leur demander de réexaminer cette décision. De nombreux militants de la cause arménienne ont été emprisonnés, certains y ont perdu la vie... mais les choses n'ont bougé qu'au moment du dégel gorbatchévien. En février 1988, profitant de la « liberté » relative de la perestroïka, les autorités arméniennes du Haut-Karabagh ont présenté à Moscou, à Bakou et à Erevan une demande de réunification avec l'Arménie. Jusqu'à l'effondrement de l'URSS en 1991, le Kremlin n'a pas été en mesure de proposer des solutions acceptables. Bakou, pour sa part, a catégoriquement rejeté cette demande. Les autorités azéries ont d'abord supprimé l'autonomie du Haut-Karabagh. Puis elles ont réprimé les habitants de cette région - dont elles disent pourtant que ce sont « leurs propres citoyens » - en menant contre eux, sous le prétexte de renforcer le régime des passeports, un véritable nettoyage ethnique, avec le soutien de l'armée soviétique. Et, finalement, elles ont déclenché la guerre ! L'Arménie ne pouvait pas rester indifférente. Évidemment, elle est venue en aide au Haut-Karabagh. Dans cette guerre qui nous a été imposée et qui a fait des dizaines de milliers de morts de part et d'autre, les Arméniens du Haut-Karabagh ont réussi à défendre leur indépendance. En 1994 un cessez-le-feu a été signé entre toutes les parties afin de régler la question par le biais de négociations. Telle est la réalité dont la Troisième République a hérité. J'ai cité ces détails de l'Histoire afin de vous donner une idée plus claire de la situation actuelle. P. I. - Justement, où en sont les négociations sur la question du Haut-Karabagh ? Malgré leurs efforts, le Groupe de Minsk de l'OSCE et ses trois co-présidents - les …
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