Entretien avec
Luiz Inácio Lula da Silva, Président du Brésil
par
Axel Gyldén, Grand reporter au service Monde à L'Express.
n° 122 - Hiver 2009
Axel Gyldén - Au mois d'avril commencera au Brésil l'« Année de la France ». Jusqu'à la fin de 2009, plusieurs centaines de manifestations se dérouleront à travers votre immense pays. Quelle idée vous vient immédiatement à l'esprit lorsqu'on évoque la France ? Luiz Inacio Lula da Silva - Je pense à la Révolution française. Et au fait que nos deux peuples se portent une estime et une affection réciproques que j'ai constatées de mes yeux tout au long de l'année 2005, qui était celle de l'« Année du Brésil » en France. Je pense également à Zinédine Zidane, qui est l'athlète le plus exceptionnel qu'il m'ait été donné de voir évoluer sur un terrain de football. De plus, ici, dans le milieu que je fréquente, tout le monde aime aller à Paris, et chacun admire les arts et les vins français. Je trouve toutefois que le potentiel commercial entre nos deux pays demeure encore largement inexploré. Nos échanges pourraient être bien plus importants qu'ils ne le sont aujourd'hui ! Je l'ai dit au président Sarkozy : la France - qui se paie le luxe d'être, grâce au département de la Guyane française, le seul pays européen à posséder une frontière commune avec le Brésil - devrait regarder davantage dans notre direction. A. G. - Quels sont les projets communs auxquels vous pensez spécialement ? L. I. L. S. - Je suis déterminé à ce que nos deux pays terminent, avant la fin de mon mandat en décembre 2010, le projet de pont sur le fleuve Oyapock, qui reliera l'État d'Amapa (au Brésil) à la commune française de Saint-Georges, en Guyane... même si j'ai découvert que la bureaucratie française est identique à la brésilienne ! Par ailleurs, j'ai proposé à Nicolas Sarkozy la création d'un Centre d'étude binational sur la biodiversité amazonienne. Dans le domaine de la défense, nous sommes très intéressés par le partenariat stratégique avec la France : c'est le seul pays qui se propose de mettre sur pied, avec nous, un programme de transfert de compétences et de technologies (1). Comme vous le savez, nous avons déjà signé un accord sur la fabrication d'hélicoptères, dont le site de production se trouve à Itajuba, dans l'État du Minas Gerais. Mais nous sommes également intéressés par les avions de chasse français Rafale afin de remplacer nos Mirage, ainsi que par les sous-marins nucléaires. Sur ces dossiers, nous travaillons en étroite collaboration avec le gouvernement français - et, spécialement, avec le ministère de la Défense - pour déterminer quel ensemble d'accords nous pourrions conclure en vue d'un partenariat stratégique de long terme. A. G. - L'actualité internationale est dominée depuis plusieurs mois par la crise économique et financière. Pour 2009, plusieurs prévisions annoncent un ralentissement de la croissance brésilienne. D'après certains analystes, cette croissance pourrait être de seulement 0,5 % - à comparer avec les 5 % de 2007 et 2008. Quelle est votre vision des choses ? L. I. L. S. - Il existe trois scénarios : un pessimiste, un raisonnable et un optimiste. Le scénario pessimiste évoque 0,5 % de croissance tandis que l'optimiste annonce 3 %, alors que le raisonnable se situe entre ces deux scénarios. Bien sûr, lorsque ces chiffres ont été lancés, en décembre dernier, plusieurs journaux ont rédigé leur manchette : « La croissance du Brésil ne sera que de 0,5% en 2009. » C'est une présentation partielle et de mauvaise foi. La crise frappe beaucoup plus durement les pays riches que les pays émergents. Quant au Brésil, il est, parmi les pays duG-20, le mieux préparé à affronter la crise. Premièrement, notre dette publique représente seulement 36 % de notre PIB. Peu de pays peuvent s'enorgueillir d'un tel ratio. Deuxièmement, le montant de nos réserves est supérieur à notre dette extérieure. Troisièmement, notre système financier est extrêmement moderne : n'importe quel pays du monde pourrait s'inspirer du système financier brésilien et l'adopter comme exemple. Il faut ajouter que le Brésil dispose d'un avantage que peu de pays possèdent : c'est la puissance de nos banques publiques dont plusieurs sont très importantes. Je pense, en particulier, à la Banco do Brasil, à la Caixa Econômica Federal, à la BNDES (Banque nationale de développement économique et social), à la BNB et à la Basa. Ces banques sont capitalisées, elles ont de l'argent et elles vont en prêter. Rappelez-vous l'enseignement du président Roosevelt : « En période de crise, disait-il en substance, il ne faut pas se replier mais investir davantage. » Justement, nous possédons un programme d'investissement appelé « programme d'accélération de la croissance », ou PAC, doté de 503,9 milliards de réaux (157 milliards d'euros), divisé en trois axes : logistique (58,3 milliards), énergie (274 milliards) et social et urbain (170,8 milliards). Et nous avons bien l'intention de dépenser tout cet argent d'ici à la fin 2010. L'État va continuer à investir dans les infrastructures, l'énergie et l'urbanisme. Nous allons, par exemple, injecter beaucoup d'argent dans le secteur pétrolier : d'ici à 2010, les investissements de notre grande société pétrolière, Petrobras, s'élèveront à 112 milliards de dollars. A. G. - Après le déclenchement de la crise financière, vous avez déclaré à l'ONU : « L'heure de la politique est arrivée. » Qu'entendez-vous par là ? L. I. L. S. - La classe politique ne doit pas continuer à fonctionner en pensant que le marché peut tout. Le marché a son importance, c'est vrai. Mais dans chaque pays l'État doit être l'inducteur et le régulateur de bon nombre des politiques mises en oeuvre. La crise est due au fait que le système financier a fonctionné de manière complètement libre, sans aucun contrôle. Un exemple : alors qu'au Brésil une banque d'investissements peut seulement avancer jusqu'à l'équivalent de 6,5 fois son patrimoine de liquidités, aux États-Unis ce ratio est de 35 fois ! Ce qui signifie que, là-bas, les gens ont prêté de l'argent qu'ils n'avaient pas. Nous devons réguler plus strictement le système financier international en ayant constamment à l'esprit que ce système financier est …
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