Entretien avec
Robert Baer
par
Jean-Pierre Perrin, journaliste, spécialiste du Moyen-Orient.
n° 122 - Hiver 2009
Jean-Pierre Perrin - Sans l'assistance de l'Iran, le Hamas comme le Hezbollah ne seraient pas devenus ce qu'ils sont. Les tragiques événements du Proche-Orient confirment ce diagnostic. D'où ma première question : selon vous, Barack Obama modifiera-t-il ce qu'était, sous George W. Bush, la politique iranienne des États-Unis ? Robert Baer - Regardez le discours de Barack Obama devant l'American-Israel Public Affairs Committee (AIPAC) (1) : il a été clairement inspiré, guidé même, par Israël. Aux États-Unis, vous ne pouvez pas parvenir au pouvoir en défendant une politique étrangère indépendante pour le Moyen-Orient, une politique qui ne soit pas filtrée par l'AIPAC. C'est tout simplement impossible ! Il en va de même pour la ligne éditoriale du New York Times et du Washington Post : elle ne peut pas être ouvertement en désaccord avec l'AIPAC. Dès lors, à l'égard de l'Iran, une seule approche est admise, celle qui consiste à considérer ce pays comme une menace pour les États-Unis et ses alliés - comme s'il s'agissait de l'histoire sainte, une histoire sainte profane. Hillary Clinton reflète cette ligne. Mme Clinton et d'autres éminents diplomates américains qui prônent une vision très hostile envers l'Iran, tels Martin Indyck ou Dennis Ross, n'ont certes rien à voir avec les néo-conservateurs ; mais ils n'en sont pas moins le produit de ce système où les intérêts d'Israël passent systématiquement au premier plan, ou ont été filtrés par lui. En d'autres termes, la diplomatie américaine ne peut pas prendre dans ses rangs un universitaire issu de l'université de Harvard ou de Chicago qui n'ait pas été adoubé par le lobby pro-israélien. Hillary Clinton arrive au secrétariat d'État avec ce background. Il sera donc très difficile pour Obama de contrer ce lobby et de mener une politique différente. J.-P. P. - Vous prévoyez donc que, sur le dossier iranien, les États-Unis maintiendront une position ferme et que les propositions d'ouverture que Barack Obama avait évoquées pendant sa campagne (2) resteront lettre morte... R. B. - D'abord, je ne vois pas venir de « grand marchandage » entre Téhéran et Washington. S'il y a des discussions avec Téhéran - qu'elles se tiennent à Genève ou Bagdad -, elles se feront sous le regard d'Hillary Clinton. C'est elle qui défendra cette ligne devant l'establishment de Washington. Je ne pense pas qu'on assistera à un moment semblable à celui qui a vu subitement les États-Unis nouer des relations avec la Chine du temps de Richard Nixon. Non, je ne pense pas que l'on se réveillera un matin en apprenant que Barack Obama est en route pour l'Iran. Si cela devait arriver, je serais diablement surpris ! J.-P. P. - Dès lors, que fera Hillary Clinton vis-à-vis de cet Iran qui n'a nullement l'intention de renoncer à enrichir de l'uranium ni à développer son programme de missiles balistiques, les Shahab-3 ? R. B. - Le message de Mme Clinton est simple : la question de l'Iran se réduit à celle de son éventuel armement nucléaire. C'est un message facile à vendre aux Américains, comme l'était la question des armes de destruction massive en Irak. On a vendu un tel message une première fois aux Américains... on le vendra donc une nouvelle fois ! À l'inverse, il est plus difficile de leur vendre une approche plus compliquée, plus intellectuelle. Or il est très clair que même si, au fond d'eux-mêmes, les Iraniens veulent posséder la bombe atomique, ils ne la fabriqueront pas pour autant. C'est leur politique depuis 1990. Certes, ils jouent avec la bombe comme s'ils étaient à une table de roulette, mais c'est pour des raisons diplomatiques : pour ne pas être ignorés ; pour pouvoir négocier ; pour se permettre, aussi, d'avancer certaines exigences afin de finir par devenir le « grand joueur » qu'ils veulent être. Mais, pour Hillary Clinton - et même pour Barack Obama -, la question de l'Iran doit se résumer à celle du nucléaire. Il faut que l'Iran soit synonyme de danger. Je suis persuadé, pour ma part, qu'il faut parler avec l'Iran - un pays qui a beaucoup évolué, qui n'est plus ce qu'il était en 1979, au moment de la révolution islamique... et qui a renoncé à l'action terroriste. On l'a vu au Liban, où il ne s'adonne plus au terrorisme et préfère fournir de l'aide au Hezbollah - un parti qui a largement changé, qui participe au gouvernement, qui s'est allié avec le camp chrétien qu'il combattait auparavant, et que Téhéran a contribué à modérer. Ce calcul s'est, d'ailleurs, révélé payant comme l'a montré la victoire que le « Parti de Dieu » a remportée en 2006 face à l'armée israélienne - pourtant la plus forte du Moyen-Orient. J.-P. P. - Vous défendez l'idée selon laquelle l'Iran est devenu une puissance impériale qui vole de victoire en victoire (au Liban avec le Hezbollah, en Irak avec la prise du pouvoir par les partis chiites)... N'est-ce pas créditer la République islamique de plus de succès qu'elle n'en a réellement obtenus ? Hormis la création du Hezbollah, sa réussite est pour le moins mitigée. On ne voit guère l'Iran progresser en Asie centrale ; en Afghanistan on assiste au retour en force des talibans ; dans le golfe Persique Téhéran fait peur ; et en Irak, le récent accord signé par Washington avec Bagdad - qui permet à l'US Army de demeurer sur place jusqu'à la fin de 2011 - apparaît comme un camouflet... R. B. - Les dirigeants iraniens ont approuvé cet accord ! J.-P. P. - Mais ils l'ont beaucoup critiqué ! Et on peut les comprendre puisque les Américains ont vu leur présence légitimée a posteriori par le gouvernement de Nouri al-Maleki tandis que l'US Army a obtenu le droit de demeurer sur place jusqu'à la fin 2011... R. B. - Officiellement, les dirigeants iraniens se devaient de critiquer l'accord. Mais, en réalité, ils en ont été ravis. D'ailleurs, avant sa signature, Nouri al-Maleki s'est rendu à Téhéran et tous les points du document y ont été discutés avec …
Ce site est en accès libre. Pour lire la suite, il vous suffit de vous inscrire.
J'ai déjà un compte
M'inscrire
Celui-ci sera votre espace privilégié où vous pourrez consulter à tout moment :
Historiques de commandes
Liens vers les revues, articles ou entretiens achetés