Les Grands de ce monde s'expriment dans

LE CHANTRE DU «RATTACHISME»

Entretien avec Paul-Henry Gendebien par Luc Rosenzweig

n° 123 - Printemps 2009

Luc Rosenzweig - À la tête du Rassemblement Wallonie-France, vous militez, en cas d'éclatement de la Belgique, pour l'annexion de la Wallonie et de Bruxelles par la France. Comment vous, qui êtes issu d'une grande famille fondatrice de l'État Belge, êtes-vous devenu le chef de file des « rattachistes » ?
Paul-Henry Gendebien - La querelle belge n'est pas anecdotique. Elle n'est pas le fait du hasard ni d'une crise conjoncturelle. Elle trouve sa source dans une création qui a accouplé des populations dépourvues des affinités et de la cohésion nécessaires pour former un État-nation. Déjà, en 1912, le député socialiste de Charleroi Jules Destrée s'adressait en ces termes au roi Albert Ier, le grand-père de l'actuel souverain Albert II : « Laissez-moi vous dire la vérité, la grande et horrifiante vérité : Sire, il n'y a pas de Belges (...). Non, Sire, la fusion des Flamands et des Wallons n'est pas souhaitable, et, la désirerait-on, il faut constater qu'elle n'est pas possible. »
Un siècle plus tard, ce constat est plus que jamais pertinent, et la montée en puissance du nationalisme flamand, la volonté de ce peuple de se constituer en État-nation coûte que coûte, place les Wallons et les Bruxellois francophones devant un choix crucial pour leur avenir. C'est pourquoi, en 1999, avec quelques amis issus de divers horizons politiques - je viens pour ma part du Rassemblement wallon d'André Renard et de François Perin - nous avons créé le Rassemblement Wallonie-France, ainsi que son frère jumeau le Rassemblement Bruxelles-France. Nous avons fait le constat que seule la réunion à la France de la partie francophone de la Belgique nous permettrait de surmonter les graves problèmes économiques et politiques dont souffrent aujourd'hui la Wallonie et Bruxelles. Il ne s'agirait pas d'une annexion, mais d'une réunion librement consentie de deux peuples appartenant à la même aire culturelle, partageant une histoire et des valeurs communes.
L. R. - Ne pensez-vous pas que, du côté flamand, la rhétorique nationaliste sert avant tout à obtenir des concessions en matière de compétences régionales et sur Bruxelles ?
P.-H. G. - Nous n'en sommes plus là ! La Flandre de 2009 s'active à dessiner les frontières de son futur État, en cherchant à éviter toute contestation. C'est pourquoi la négociation dans un cadre belge n'a plus de sens, sauf, pour les Wallons et les Bruxellois, à se coucher encore plus bas que le niveau du sol. À l'instar des Serbes de la fin des années 1980, les Flamands estiment que l'on ne négocie pas avec un faible, mais qu'on lui impose sa volonté. J'appelle cela de la violence politique par le recours abusif à la loi du nombre. On ne discute pas avec celui qui veut détruire l'objet même de la négociation, à savoir l'État belge lui-même.
Il vaudrait mieux s'orienter rapidement vers la seule négociation utile et raisonnable : celle qui prendra acte de la fin de l'espace politique et juridique commun ; organisera la succession d'États ; et établira des relations de bon voisinage entre l'État républicain flamand et l'État français élargi à la Wallonie et à Bruxelles.
L. R. - Certains observateurs considèrent que la crise économique fait aujourd'hui passer au second plan le débat communautaire. Ils souhaitent que les responsables politiques et économiques flamands et francophones trouvent ensemble des réponses à cette crise...
P.-H. G. - On voit bien que l'État belge ne possède ni les structures, ni la volonté, ni le personnel politique adéquats et encore moins les moyens financiers pour faire face à une crise qui accroît les inégalités sociales, le chômage et la dette publique. À cet égard, la saga Fortis (2) a porté un coup fatal à la belgitude en déconfiture et a écorné ce qui restait de crédibilité internationale à la Belgique. On a nettement ressenti une méfiance - fort légitime - de la part de la France et des Pays-Bas vis-à-vis des autorités belges, qu'elles fussent politiques ou bancaires. Dans ce contexte, la Flandre ne s'accommodera pas du statu quo institutionnel. Au contraire : à l'approche du scrutin régional de juin 2009, on observera une montée des eaux nationalistes. La Flandre politique et patronale constatera que les caisses fédérales sont vides, qu'il n'y a pas de plan gouvernemental de relance et que les changements structurels exigés par le Parlement flamand - baisse sur l'impôt des sociétés et flexibilité accrue de la politique de l'emploi - sont combattus par les formations francophones. Les partis flamands y verront une entrave orchestrée par l'État belge pour empêcher leur région de lutter, avec ses instruments et ses moyens propres, contre la crise et le désordre international.
L. R. - La plupart des hommes politiques francophones, lorsque l'on évoque le départ de la Flandre, déclarent qu'ils seraient favorables au maintien d'une « petite Belgique », qui conserverait la monarchie et assurerait la continuité du royaume au sein de l'UE...
P.-H. G. - La classe politique est surtout soucieuse de conserver ses pouvoirs, ses privilèges et les moyens d'entretenir une clientèle - autant d'objectifs qu'elle pourrait, en théorie, atteindre dans le cadre d'une « petite Belgique » réduite à la Wallonie et à Bruxelles. Mais, à mon avis, ce projet n'a aucun fondement politique et culturel. Déjà, dans les années 1920-1930, le grand historien Henri Pirenne (3) pensait que, sans la Flandre, la Belgique n'avait pas d'avenir : ce qu'il en resterait serait trop semblable à la France.
Aujourd'hui, la Wallonie et Bruxelles ne constituent pas une nation. À la différence des nouveaux États qui se sont constitués en Europe centrale et orientale après la chute du communisme, nous n'avons pas de nation wallonne, bruxelloise ou « petite belge ». Nous sommes un conglomérat d'anciennes principautés ballottées par l'Histoire au gré des conflits et des traités. Au bout du compte, tout cela ne fait pas une nation, mais deux régions : la Wallonie et Bruxelles, la région wallonne étant elle-même tiraillée entre ses différentes sous-régions. Un Tournaisien ou un habitant de la province de Luxembourg ne se sent pas wallon …