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LE HEZBOLLAH PLUS FORT QUE JAMAIS

Entretien avec Naïm Kassem par Sibylle Rizk, correspondante à Beyrouth du quotidien Le Figaro.

n° 123 - Printemps 2009

Sibylle Rizk - Depuis l'été 2006, le Hezbollah n'a pas tiré une seule roquette sur le territoire israélien. Observez-vous une trêve ?
Naïm Kassem - Il n'y a ni trêve ni accord. Nous ne tirons pas de roquettes tout simplement parce que nous respectons la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l'ONU (1). Nous considérons que, pour le moment, la réalité sur le terrain n'est pas propice à de tels tirs. J'affirme même qu'ils seraient contreproductifs, car Israël en profiterait pour se poser en victime.
S. R. - Pourtant, en dépit de cette résolution 1701, vous considérez qu'Israël occupe toujours une partie du territoire libanais. Je fais allusion ici aux fermes de Chebaa (2)... Le fait de ne plus les revendiquer au moyen des Katioucha ne signifie-t-il pas qu'Israël a, au moins en partie, atteint ses buts de guerre en obtenant un cessez-le-feu de facto ?
N. K. - Après la libération du Sud, en mai 2000 (3), nous avons procédé à des opérations ponctuelles pour signaler que nous continuions de revendiquer la libération des fermes de Chebaa. Je les qualifie d'« opérations de rappel », dans la mesure où ces opérations étaient espacées dans le temps, souvent de plusieurs mois. Leur but était uniquement de réaffirmer la poursuite de la résistance à l'occupation de ces fermes par l'armée israélienne. L'arrêt de telles « opérations de rappel » ne préjuge en rien de ce qui peut se passer à l'avenir et ne signifie nullement que la réalité de l'occupation israélienne a disparu.
La défaite de l'armée israélienne en juillet 2006 ainsi que la défaite psychologique et morale de la société israélienne sont patentes. Israël voulait éliminer le Hezbollah et le désarmer. Nous l'avons empêché d'atteindre son objectif. Cette guerre a prouvé une fois encore que la résistance était une nécessité et qu'elle doit se poursuivre.
Ces acquis ne se mesurent pas à l'aune de quelques roquettes que l'on tire ou que l'on ne tire pas sur les fermes de Chebaa. Le Hezbollah n'a tiré aucune roquette depuis plus de deux ans. Alors pourquoi ces violations incessantes de l'espace aérien libanais (4) et ce climat de tension politique (5) ? En réalité, c'est l'existence même de la résistance qui inquiète les Israéliens.
S. R. - Israël vous soupçonne de vous être dotés de batteries antiaériennes (6). Qu'en est-il exactement ?
N. K. - Je ne peux ni confirmer ni infirmer l'information. Ces données relèvent des secrets de la résistance.
S. R. - Vous avez démenti toute implication dans les incidents survenus ces derniers mois (7). Qui est responsable des récents tirs de Katioucha contre Israël ?
N. K. - Nous ne savons pas qui tire ces roquettes. Elles sont d'ailleurs très basiques et le mode opératoire ne témoigne pas d'une réelle maîtrise technique.
Le Hezbollah n'est pas responsable de la sécurité dans le Sud. Nous sommes un mouvement de résistance et nous respectons les institutions de l'État libanais dont nous sommes l'un des éléments constitutifs. Même lorsque les temps étaient très difficiles, nous n'avons pas eu de velléités d'indépendance administrative ou sécuritaire, car nous pensons qu'il faut éviter de tomber dans les méandres d'un pouvoir autonome.
Le sud du Liban est placé sous la surveillance des 15 000 Casques bleus de la Finul, ainsi que d'un nombre équivalent de soldats de l'armée libanaise (8). Il leur appartient de mener l'enquête. Il semble qu'ils disposent d'éléments indiquant que ces opérations sont le fait de certains groupes dont l'objectif est de manifester leur présence...
S. R. - Lors de l'offensive israélienne contre Gaza, déclenchée fin décembre 2008, pourquoi le Hezbollah n'est-il pas intervenu militairement, à la frontière nord d'Israël, pour porter secours à son allié, le Hamas (9) ?
N. K. - Certains analystes se font une image fausse de la résistance ; ils nous voient comme une armée conventionnelle qui peut se déplacer où elle veut et comme elle veut. Le Hezbollah est avant tout un mouvement de résistance. Nous sommes arrivés à la conclusion que Gaza devait assurer elle-même sa défense et que toute participation du Liban aboutirait à détourner l'attention.L'agresseur israélien serait passé pour la victime et les gens auraient oublié Gaza. Notre intervention n'aurait été d'aucune utilité sur le plan militaire ou politique.
S. R. - De quel poids les considérations de politique intérieure libanaise ont-elles pesé dans cette décision ?
N. K. - Avant de prendre une décision, quelle qu'elle soit, nous mesurons tous les paramètres : nous tenons compte de la situation particulière du Liban, ainsi que du contexte régional et international. Pour intervenir, il aurait fallu que nous disposions de preuves d'une agression israélienne directe à l'encontre du Liban, ou bien d'éléments suffisants pour justifier la nécessité d'une telle opération. Ce n'était pas le cas lors de l'offensive israélienne contre Gaza.
S. R. - Votre allié iranien vous a-t-il influencé ?
N. K. - Notre alliance avec l'Iran repose sur une vision commune d'Israël : ce pays n'a pas le droit d'imposer son existence par la force au mépris des droits de la population de la région. Tous ceux qui partagent ces positions, que ce soit la Syrie, le Hamas ou l'Iran, qu'il s'agisse d'un État, d'un parti ou d'un mouvement, se retrouvent sur cette ligne politique. Il n'y a pas à proprement parler d'« axe du refus » organisé avec une répartition des rôles et des fonctions. En revanche, nous nous entraidons. L'« axe » opposé n'en fait-il pas de même ? Je ne mentionnerai que l'aide officielle annuelle de trois milliards de dollars accordée par les États-Unis à Israël au titre de la coopération militaire...
S. R. - Quelle est la nature de vos relations avec le Hamas ? On dit que les méthodes de combat de leurs combattants sont inspirées des vôtres ? Les avez-vous formés ?
N. K. - Le Hamas est un mouvement de résistance qui a ses spécificités propres. Au même titre que le Hezbollah. Toutefois, compte tenu de l'expérience que nous avons acquise, il est naturel que nous …