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Entretien avec Silvio Berlusconi, Président du Conseil italien par Richard Heuzé, correspondant de Politique Internationale en Italie

n° 123 - Printemps 2009

Silvio Berlusconi

Richard Heuzé - Monsieur le Président du Conseil, lorsque vous êtes revenu au pouvoir en mai 2008 (pour un troisième mandat, après ceux que vous avez effectués en 1994-1995 et en 2001-2006), vous avez exprimé le souhait de « changer l'Italie ». Pourriez-vous dresser le bilan de ce que vous avez déjà accompli ?
Silvio Berlusconi - Au cours de ma campagne électorale, j'avais effectivement fait part de ma ferme intention de changer l'Italie. J'avais également déclaré - et, à l'époque, mon entourage et moi-même étions les seuls à le dire - qu'une crise économique de portée globale se préparait, une crise sans précédent dans les cinquante dernières années. Depuis mon arrivée aux affaires, mon gouvernement a beaucoup de choses à mettre à son actif. Nous avons rétabli, en trois mois, la normalité sanitaire dans la région de Naples, qui était submergée par les détritus, et nous avons fait en sorte qu'Alitalia reste une compagnie aérienne nationale en favorisant sa reprise par un consortium italien qu'épaule Air France/KLM. Ces deux succès, parmi tant d'autres, nous ont valu une grande popularité. Tout comme le fait que nous soyons parvenus à mettre les comptes publics en sécurité (1) en faisant adopter, dès le mois de juillet, une loi de finances qui s'étalait, pour la première fois, sur une période de trois ans - et cela, tout en respectant les contraintes européennes imposées par le traité de Maastricht en matière de déficits (2). Cette mesure nous a permis d'affronter la crise avec des finances publiques bien préparées.
R. H. - Quelles sont les autres réformes dont vous êtes fier ?
S. B. - Je pense immédiatement à celle de l'école : nous avons jeté les bases d'une instruction publique qui permettra à l'Italie de refaire son retard sur l'Europe en matière de sélection et de productivité. Elle permettra à notre pays, aussi, de redécouvrir les vertus du mérite. Je pense également à la réforme de la justice, qui est en cours : nous voulons faire en sorte que tous les citoyens puissent bénéficier d'une justice diligente (3) dans les procès. Cette réforme établit par surcroît une nette distinction entre la profession de magistrat du parquet et celle de magistrat du siège. À chacun son travail, sans mélange des genres (4).
Enfin, nous nous sommes battus au niveau de l'UE pour faire financer les grandes infrastructures dont le continent a besoin et qui ont longtemps été bloquées en Italie par des veto purement idéologiques. C'est le cas, en particulier, de la liaison ferroviaire à grande vitesse Turin-Lyon, qui a obtenu l'an dernier un substantiel financement européen dans le cadre des projets d'infrastructures prioritaires décidés par Bruxelles (5).
R. H. - Précisément, sur ce dossier, la France reproche régulièrement à l'Italie de ne pas faire tout ce qu'elle devrait pour ouvrir, enfin, le chantier ferroviaire. Pensez-vous pouvoir y parvenir d'ici à 2011 et respecter l'échéancier prévu ?
S. B. - Lors du sommet franco-italien du 24 février dernier à Rome, j'ai redit au président Nicolas Sarkozy notre ferme détermination de réaliser l'ouvrage. Vous constaterez, d'ailleurs, que mon gouvernement a confirmé le commissaire Mario Virano à la présidence de l'Observatoire technique chargé de cette liaison ferroviaire (6). J'ajoute que nous entendons ouvrir au plus tôt cet immense chantier afin de compléter le « couloir 5 » (7) qui est vital pour notre économie. La réalisation de cette ligne à grande vitesse faisait partie de notre programme électoral. Nous lui attribuons une importance stratégique.
R. H. - À quoi le retard de ce projet est-il dû, selon vous ?
S. B. - Au fanatisme écologique qui a contraint le gouvernement précédent, celui de Romano Prodi, à fermer un grand nombre de chantiers, rouverts par nos soins depuis. J'en profite pour me féliciter d'une idée qui est en train de prendre forme au niveau communautaire : l'émission d'un emprunt obligataire européen pour financer les grandes infrastructures. Cette idée était née durant la présidence italienne de l'Union européenne en 2003 et je me réjouis qu'elle ait trouvé sa traduction politique dans les conclusions de la présidence française (8), en décembre dernier.
R. H. - Revenons, si vous le voulez bien, à votre réforme de la justice. Vous lui attribuez une grande importance. Comme la France, vous pensez qu'elle doit passer en priorité par une réforme du tribunal. Est-ce à ce point vital ? Ne cherchez-vous pas à prendre votre revanche sur les « petits juges » qui ont multiplié les enquêtes sur votre compte ?
S. B. - Une chose est sûre : la machine judiciaire doit regagner en efficacité et en crédibilité. Le degré de civilisation d'une nation se mesure aussi à sa capacité à rendre justice à ses propres citoyens. Or, en Italie, les lenteurs et les carences de la justice se perpétuent depuis des années ! On voit des tribunaux remettre des violeurs en liberté sans autre forme de procès, alors que des personnes honorables ne parviennent pas à obtenir un verdict en temps utile. Ce que nous appelons la « certitude de la peine » fait défaut (9). De fait, la justice est niée. Notre objectif est d'accélérer le rythme des procès et d'en faciliter l'aboutissement, notamment en simplifiant les rites judiciaires. Sans oublier que, souvent, par excès de pouvoir discrétionnaire ou en raison de liens trop étroits entre les magistrats du siège et l'accusation, les droits de la défense ne sont pas garantis.
Personnellement, je n'ai aucun problème avec les magistrats qui ne sont pas politisés. J'ai même le plus grand respect pour eux. Malgré la quantité impressionnante d'enquêtes, de perquisitions et de procès qui m'ont visé, j'ai toujours été reconnu innocent. On peut facilement en déduire que l'on a tenté de me liquider politiquement par des voies judiciaires. Mais cette époque appartient au passé. Et les Italiens l'ont bien compris.
R. H. - Le Parlement vient d'adopter le fédéralisme fiscal que réclamait à grands cris la Ligue du Nord, votre alliée. En quoi cette réforme changera-t-elle la vie du pays ? Ne risque-t-elle …